AVRIL 1993 p. 31-32 |
Une si changeante désuétude | |
Courrier |
Lettre |
d'un désespéré, |
et pourtant... |
Vous m'avez assuré que si je mettais par écrit mes idées vous les publieriez ? Écrire ne m'émoustille pas tant que ça, mais quand même j'ai trop envie de dire deux ou trois choses que je pense d'eux.
Qui eux ? me demanderez-vous, peut-être. Mais bien sûr, adultes, parents, profs et autres qui ne manquent jamais l'occasion de donner des conseils, des avis, enfin leur opinion, ceux encore qui font autorité et qui s'arrangent pour ne jamais se trouver là quand il faut payer leurs errements, leur incompétence, leur légèreté.
Après que nos aînés ont tant crié : “Nous voulons tout !” allons-nous nous contenter de quémander : “Qu'est ce que vous nous laissez ?”
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Oui, c'est à ces gens que j'aimerais m'adresser, à ces gens qui ont des responsabilités ou prétendent en avoir, à ces gens encore qui aspirent à tout savoir, à ces personnes averties qui ne cessent de demander aux psychologues, aux sociologues, aux enseignants, aux moralistes variés, aux pasteurs des troupeaux religieux de trouver des valeurs et des idéaux à la jeunesse.
Valeurs et idéaux, nous les avons, même si quelquefois nous les portons profondément enfouis en nous, pour ne pas les laisser contaminer par leurs regards poisseux.
Je ne leur demanderais certainement pas à ceux-là qui nous veulent tant de bien de nous considérer comme des interlocuteurs, comme des individus qui ont des choses valables à dire et même des manières à eux de les dire. Non. Il faudrait d'abord qu'ils apprennent à écouter avant de vouloir enseigner. Oui, c'est bien aux profs que je m'adresse en premier lieu. « On a les boules », même quand on traîne nos gueules de résignés, on pense pas moins. Un jour ça finira par faire mal. C'est ce qu'on pense, en tout cas. Autre chose que j'aimerais leur dire à peu près comme ça :
Commencez par essayer de comprendre nos efforts pour nous inventer des projets et des objectifs à la mesure de l'époque plutôt que vous évertuer à nous resservir les malheureuses valeurs et les pitoyables idéaux dont vous vous êtes débarrassés aux temps bénis du triomphe de la consommation de masse. Nous ne voulons pas retourner au pré-scientifique même si le scientisme ne nous satisfait pas.
Si vous voulez absolument faire quelque chose pour la jeunesse, donnez-nous les lieux pour nous exprimer, pour nous inventer et cessez de pleurnicher que vous n'avez pas les moyens pour répondre aux désirs des enfants que vous dites tant aimer. Et surtout, surtout, cessez de brandir à bout de lèvre molle le mot amour dont vous vous faites panache. Comme si c'était votre sentiment à vous, un sentiment dont nous serions dépourvus. Comme si nous ne savions pas ce que c'est que l'amour : vos livres, vos films, vos télé-films sont pleins de fadaises sur les amours adolescents et la beauté ou la laideur de nos sentiments. Faites plutôt l'effort de comprendre ce que nous avons à vous dire. Vous nous avez refilé le Sida, on a quelque raison de se méfier, quant même !
D'ailleurs, quand vous parlez d'amour - c'est aux parents surtout que je m'adresse - c'est de l'amour que les enfants vous doivent. Vous, parents ! évidemment, vous aimez naturellement vos enfants, ça se sait. Point à la ligne.
Et quand vous parlez d'apprendre, vous entendez apprendre aveuglement une masse de choses que vous avez apprises et qui ne vous ont jamais servies à rien et que nous devons apprendre, à notre tour, pour que ça ne nous serve pas plus qu'à vous.
Enseignants, que l'on dit mal payés, dites-nous : que voulez-vous donc nous apprendre ? Et je vous le demande : pour quoi faire ? Je sais, votre réponse sera sans doute : on vous apprend ce qui est dans le programme. Bien sûr, ce programme c'est pas vous qui l'avez fait, ce programme vous l'auriez certainement mieux fait, on vous demande pas votre avis. Ce programme il est là, malgré et contre vous et contre nos intérêts. Mais vous et nous qui avons des intérêts communs, on est si loin de se comprendre. Bien sûr, qu'on veut bien essayer de comprendre vos problèmes de travailleurs de l'éducation nationale, mais alors apprenez de nous ce dont nous avons besoin ! Prenez en considération ce que nous demandons parce que nos demandes sont des questions qui concernent de près, de très près votre avenir. Et si nous ne savons pas ce que nous voulons ? Demandez-vous alors, parents et profs, à qui la faute, la très grande faute.
Restent les grandes valeurs : le sacrifice, par exemple, le sacrifice, cette qualité chrétienne, patriotique, et sublimale. Le sacrifice apanage du monde adulte. Vous en savez sans doute long là-dessus. Mais moi, je vous demanderai seulement : quel est l'âge moyen des morts dans les cimetières militaires ?
Restent encore l'abnégation, le sens de l'honneur (nous l'avons trop) l'amitié, la patience, (trop, nous sommes trop patients, c'est notre tort : on est des veaux, c'est vos journaux qui le disent), l'abnégation (ça c'est même plus un truc de parents, il n'y a plus que les papys pour nous en toucher, un soir de dèche, quelques mots - c'est très ennuyeux).
Sacrifice, abnégation, patriotisme, religion. Non, non, non. Le retour du refoulé, c'est pas ma planète. Il y a d'autres rêves. Des rêves à inventer, bien sûr et ça ce n'est certainement pas vous, soixante-huitards défroqués et autres désenchantés, qui êtes capables de nous faire rêver.
Pas la peine de crier : “lutte continue”. La lutte continue toute seule. La vérité est : “on continue ou on s'écrase.”
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La jeunesse en sait long. Elle en sait long ne serait-ce que parce qu'elle a l'avenir devant elle, c'est pas rien. Mais ne prenez pas pour des jeunes ces adolescents vieillis dans le sérail de vos idées, ils sont vos ombres, rien que vos ombres, l'image désincarnée de ce que vous n'avez su qu'être. Les temps sont passés et vos enfants à votre image dépassés eux aussi par les temps féroces qui façonnent une autre jeunesse. Une jeunesse, melting-pot d'âges. Une jeunesse qui se voue à une conquête constante, obsédante, une course contre la montre. Une course toujours perdue, rétorquerez-vous. Peu importe, parce que, quel beau voyage !
J'ai lu cela, et ça m'a fait mal. « À la fin de l'enfance, l'adolescent prend conscience du monde qu'il doit traverser. Corps lisse sur lequel tout peut encore s'écrire où toutes les histoires sont encore possibles. Mais tout, toujours est fait pour que ce possible se limite à ce qui est déjà là. L'ado au seuil de la vie se voit interdire son possible ». C'est ça que je ne puis plus accepter. Si nous pouvons nous rencontrer pour en parler, j'en suis.
Voilà, en fin de compte, ces deux ou trois choses que je tenais à dire.
Bien à vous.
H. D. L. N
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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 23 avril 03 par TMTM
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