JANVIER/FÉVRIER 1994 p. 9 |
Ceux qui disent que ça vous passera... | |
Il ne faut pas laisser n'importe qui penser... |
“Il est préférable de ne pas vivre, que de vivre au milieu des sots”
Lucrèce me l'a dit !
Les périphériques vous parlent m'a dit : Il faut détruire toutes les idoles. Il m'a encore dit : Il ne faut pas écouter béatement les professeurs-maîtres, les professeurs « détenteurs de la Valeur grand V interprètes du Savoir grand S » C'est Ed-pe qui me l'a dit. Il le sait, il l'a lu quelque part !
Les périphériques vous parlent m'a parlé... je l'ai écouté. J'ai pris : Sartre, Le Mur, étude psychanalytique ; Freud, son œuvre, étude sociologique ; mais aussi, Burroughs, ses bouquins, étude cocaïnoïque ; De Gaulle, ses mémoires, étude anthropométrique ; mais encore, BHL, mon œuvre par moi-même, étude narcissique. J'ai tout pris et j'ai tout piétiné.
Et consciencieusement, remontant à la source, j'ai pris les auteurs eux-mêmes et je les ai piétinés.
Dans ma petite chambre d'étudiant, sur la moquette vert d'eau, devant ma bibliothèque blanche de chez Habitat (ça va bien ensemble, je le sais, je l'ai vu dans une pub !) j'ai piétiné en hurlant : « Non, je ne vous lirai plus, je serai indépendant, sans influence, seule source de mes idées. Vous ne serez pas mes professeurs. »
Puis, tout enthousiasmé, j'ai pris Nietzsche (j'ai lu Ainsi parlait Zarathoustra, c'est bien. Je le sais, c'est un étudiant en philosophie qui m'a dit : « Ça, c'est un Livre, le reste n'est que littérature. » Il le sait, c'est son prof qui lui a dit). J'ai donc jeté Nietzsche, sans scrupules, écrasant les pages blanches sales sous mes chaussures boueuses. Il n'a bientôt fait plus qu'un avec Sartre, tous deux se mélangeant en une bouillie lourde.
Puis j'ai pris en haut de ma bibliothèque, Voyage au bout de la nuit de Céline (tout en haut, bien caché car j'avais honte. Au lycée, mon prof de français m'a souvent répété que c'était un salaud. Il le savait, il l'avait appris quelque part). Je l'ai donc écrasé, piétiné longuement sur le tas de livres, sur ma moquette vert d'eau, sale désormais.
Puis Camus, Tolstoï, Gogol, Sade, (non, pas Sade, c'est ma grand-mère qui me l'a offert. Elle m'a dit : « Voilà l'ignominie. C'est un exemple de ce qu'il ne faut pas lire. » Elle le sait, elle ne l'a pas lu). Puis Rimbaud, Verlaine, Kafka le cancrelat, Marx et ses claudettes, les Proust et les Zola et d'autres encore sont venus rejoindre le tas, sur ma moquette.
Et dans une jouissante euphorie, piétinant trépignant, suant et hoquetant, j'ai jeté les livres-culte (j'sais, Pivot m'la dit). Tous ont intégré l'énorme bouillie de la moquette. Une infâme marmelade, une boue grisâtre, une substance molle... malléable, des mots, des idées impudiquement entremêlées.
Puis j'ai cessé de piétiner. Et j'ai eu beau réfléchir, je me suis concentré et je me suis aperçu que personne ne m'avait dit quoi faire de cette purée collant à mes chaussures.
Alors à pleines mains, pour faire disparaître tout ça, j'ai enfourné cette immonde bouillie dans ma bouche. Je me suis goinfré, je me suis vautré dans ces mots. Je me suis noyé, me collant des phrases sur le visage, dans les yeux, dans mes oreilles. Goulûment, j'ai tout avalé, tout, tout, tout !
C'est une semaine plus tard que l'on a découvert mon corps sur la moquette vert d'eau, devant ma bibliothèque blanche de chez Habitat. Ce sont mes voisins qui se sont inquiétés de ne plus me voir descendre acheter mon journal (Libé. Tous les étudiants que je connais me l'ont conseillé. Ils le savent, ils le mangent tous les jours).
Police, Autopsie... j'étais mort d'indigestion.
Moralité : Le problème n'est pas de manger beaucoup, tout n'est en fait qu'histoire de digestion !
Vous pouvez me croire, je le sais, c'est Satan qui me l'a dit...
Mathieu
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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 30 mars 03 par TMTM
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