JANVIER/FÉVRIER 1994 p. 25 |
Dans le hors-champ de sa vie... | |
Cahier |
Au palais du Té à Mantoue, il y a une fresque de Julio Romano intitulée Salle d'amour et Psyché, qui représente des scènes de licence, de déchaînement orgiaque, suffisamment bizarres pour qu'au 15ème siècle ce peintre dut payer de sa vie ses audaces. Mais parmi toutes celles qui contreviennent à la morale chrétienne et aux critères esthétiques de l'époque, il y en a une qui élève l'irrévérence à une sorte d'implacable rigueur. La coupole abrite des angelots s'élançant dans le firmament pour y scander la gloire du seigneur, cela avec une ferveur si pieuse que la divine providence y resplendit dans toute sa magnanime pureté. Il y a pourtant un petit détail saugrenu : pour l'observateur situé à la verticale, il ne fait aucun doute, les angelots exhibent une croupe truculente et des couilles ballantes.
La religion peut crier au blasphème, dénoncer l'obscénité de ces représentations contre nature. Au contraire d'un dénigrement impie de la religion, il s'agit là d'une observance scrupuleuse des lois de la perspective. La vérité, c'est ce qui se cache derrière, non les apparences, mais les contre-vérités. Dieu au ciel, on lui voit le cul - question de point de vue, de logique, un point c'est tout. Ce qui est contre nature, n'est-ce pas plutôt cette violence intentée aux lois de la perspective, les torsions qu'il faut faire subir aux corps des anges et des dieux pour retirer au visible leurs organes voués à l'exécration universelle, abolir une nudité, que suffit pourtant à rétablir une simple correction optique ?
Le vêtement qui tombe n'est ici que la métaphore du mensonge qu'on lève. Découvrir sous les souveraines apparences le « c.. de Dieu », ne serait-ce pas, aujourd'hui, un projet culturel de première envergure ? Mais qu'est-ce que ce « c.. de Dieu » ? La prescription du silence, la magie du spectacle ou encore la religion de l'art pour lesquels la création se doit de demeurer un mythe enchanteur, préparant le ferment à partir duquel prolifèrent les sociétés secrètes et commandent les pouvoirs usurpés de la culture en place. N'y aurait-il pas place, aujourd'hui, pour une culture qui fût un acte de dévoilement permanent de la culture ; qui ne soit pas asservie à ses objets, et qui aille puiser chez l'homme en activité, son mouvement même ?
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Dans le hors-champ de sa vie... | |
Entretien avec Irène Sokologorski |
Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 19 avril 03 par TMTM
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