JANVIER/FÉVRIER 1994 p. 49 |
Il ne faut pas laisser n'importe qui penser... |
Chers séropotes, séropopos, zéros, zorros, héros... Quel sort nous est fait ? La France n'est toujours pas préparée à l'épidémie du sida. Souffrance sous France. J'ai perdu l'œil gauche : historique. J'savais pas que ça pouvait arriver. Je m'ennuyais, un tel abandon ! Dans l'hiver social, je ne passais pas. Seul un groupe de théâtre me soutenait, secrète rencontre, et réinventait la vie jamais finie... Au self-service des urgences, une semaine pour un rendez-vous !, dix personnes s'endorment. Le trente-sixième médecin en représentation me place en Hospitalisation à Domicile (HAD). On me refile le bébé technologique à la maison. Traumatisé je performe, infection pulmonaire, hépatite médicamenteuse, empoisonnement du sang à l'antibiotique, et mon trou noir. L'hôpital public fait des économies, préfère imaginer les patients (?) mariés, entourés, des enfants, de l'espace, de l'argent. Mais chacun est plutôt seul, pauvre et sans confort. Mes deux perfusions par jour, mes sept étages sans ascenseur, mon quotidien à gérer, invivable. Ah ! Concilier une médecine douce ? Boire son pipi à jeun tous les matins ? Trop tard. J'en ai besoin de l'officielle, d'un bilan, de leurs médics miraculeux et surdosés, d'un balancement. Diététique, connais pas. Concilier le mépris ; rapprocher les extrêmes. Il m'est plus facile d'affronter ma maladie que celle de l'institution. Pourtant j'ai réclamé l'hôpital global pour un temps, fermer les yeux, dehors !, on m'a d'abord refusé. Y a pas d'équipe. Quelles passerelles ? Dans le béton ou chez moi, tout pareil. L'hospitalité, investie par une structure, un roulement impersonnel, un délire de gestionnaire, un encadrement ignorant le travail des soignants, et les soignés ?
- On viendra l'après-midi ce lundi.
- À peu près entre treize et dix-neuf heures ?
- À peu près.
Leur courtoisie c'est pas assez, on m'infantilise. Dans la séparation les infirmières courent après un geste mécanique sans existence avec le sourire en dessert. Elles ignorent la Solution Finale. Prisonnier des exécutants, deux pas dans ma bonbonnière ils ont tout vu, deux questions je suis tout nu, en otage, sans rendez-vous fixe, bon dernier du programme, placera-t-on l'humain au milieu ? C'est quand et comment pour le dire ? Ma maladie c'est du pipi. L'hôpital c'est du caca. Mon autonomie ?...Il faut que je fasse ma diva. Ecrire. Sans prosélytisme. Ou me taire. Sous terre. À crier. C'est plus fort que moi. Mettez l'oreille. Écoutez mon oui et mon non, la rage, l'amour amer, le bruit, le fruit fort, mort, le frère.
Pascal Galy
Notre ami Pascal Galy nous a remis ce texte le 12 juin 1993, un mois avant sa mort
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L'homme disqualifié |
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