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Numéro 16
Crépuscule de la quantité (3ème et dernière partie)
Par Christopher YGGDRE, René PASSET |

Nous publions ici la troisième et dernière partie des entretiens réalisés avec René Passet qui portait sur la délégitimation des normes de l’économie libérale et la refondation d’une économie en tant que moyen et non plus fin de la vie sociale. Au terme de nos discussions, il évoque aussi bien les conditions d’application de la taxe sur les transactions financières, que la réduction du temps de travail ou encore les rapports entre la connaissance scientifique et l’engagement politique.

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Extrait

(...) LA RESPONSABILITE ET L’ETHIQUE FRAPPENT A LA PORTE

Les périphériques vous parlent : Qu’entendez-vous lorsque vous affirmez qu’il faut introduire dans les sciences économiques les concepts de responsabilité et d’éthique ?

René Passet [1] : Ce n’est pas moi qui les ai introduites. Ce sont elles qui frappent à la porte. Quand on avait une économie quantitative, on n’avait pas besoin d’éthique. La seule éthique, c’est de produire le plus possible. Vous savez que vous créez du bien-être et du bonheur humain en produisant plus. On n’a pas besoin de contorsions éthiques pour cela. Le problème de l’éthique apparaît lorsque cette vision est dépassée. Aujourd’hui, elle l’est à tous les niveaux. Tout à l’heure, nous disions que la reproduction de la nature est menacée, que les grands mécanismes régulateurs sont en train d’être mis à mal. Ceci pose la question du développement durable. Comment avoir un développement qui puisse durer à travers les générations ? Mme Brundland, l’auteur du célèbre rapport sur le développement durable, le définit de la façon suivante : "Un mode de développement qui permet de satisfaire au mieux les besoins des générations présentes, tout en ne sacrifiant pas la capacité des générations futures de satisfaire leurs propres besoins". Vous voyez tout de suite apparaître la solidarité inter-générationnelle. Si nos sociétés se comportent de façon irresponsable, les sociétés de l’avenir ne pourront pas avoir un niveau de vie décent. Solidarité inter-générationnelle. Et voilà ! Ce n’est pas moi qui pose le problème, c’est lui qui se présente.

Dans le domaine de la répartition, les modes de production actuels qui sont des modes de production intégrés, capital et travail confondus, ne permettent plus de distinguer la productivité propre d’un de ces facteurs. Quelle est la productivité du facteur travail, la productivité du facteur capital ? On ne peut plus le déterminer. On peut rapporter la production au travail, au capital, mais c’est de la productivité dite apparente. Ce n’est pas la vraie productivité. Comme on ne peut plus déterminer la contrepartie productive de la rémunération du travailleur, vous avez là aussi, un repère qui disparaît. Le salaire était censé représenter la productivité du travailleur, or on ne sait plus calculer la productivité du travailleur. Nous avons un critère de commutativité, de contrepartie qui disparaît. Il faut trouver d’autres critères. On passe, comme je le dis quelquefois, d’une situation où la question se posait en termes de justice commutative, à une situation où la question se pose en termes de justice distributive. Je ne dis pas que le monde entre dans une ère de justice distributive. Je voudrais bien vous le dire, mais je ne peux pas. Il s’agit là d’une question éthique. Je pourrais vous énumérer bien d’autres problèmes qui prennent une dimension éthique. L’éthique est là à nous interroger. (...)

[1Economiste, Professeur à l’Université Paris 1, Président du Conseil Scientifique, auteurs de nombreux ouvrages dont le plus récent est "L’Illusion néo-libérale", aux éditions Fayard (2000)