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Numéro 15
La vierge des tueurs
Par Barbet SCHROEDER, Federica BERTELLI |

Le film La Vierge des Tueurs réalisé par Barbet Schroeder à partir du livre de Fernando Vallejo raconte une histoire d’amour et de sexe que vivent à Medellin un écrivain et un jeune tueur originaire des quartiers pauvres et qui est confronté quotidiennement à la violence et au crime. Ce film, qui ne prétend pas décrire la réalité mais s’inspire de la réalité pour mieux cerner les fictions dans lesquelles nous vivons, soulève plus particulièrement, de notre point de vue, des questions touchant à la violence et à son traitement.

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EXTRAIT

(...) Federica Bertelli : La première question concerne la violence. Souvent dans des films on dénonce la violence des jeunes sans tenir compte de la réalité quotidienne qui est derrière. Dans votre film vous montrez, quant à vous, la famille du jeune tueur vivant dans la misère noire, et à travers tout ce qui est dit, on voit que c’est la situation en Colombie qui amène à cette violence. Quel autre recours pourraient-ils donc avoir ? Souvent des critiques ne voient pas cette réalité et on va dira, comme par exemple on l’a fait pour Tueurs nés, que ce sont des films qui vont inciter à la violence. On a dit par exemple que Scarface de Brian de Palma est le film culte des truands. Qu’en pensez-vous ?

Barbet Schroeder [1] : C’est une chose qui me rend furieux. Il n’a jamais été prouvé par personne que la violence des films conduise à la violence dans la vie. C’est uniquement un fait subjectif. On a pu par contre prouver que cela n’a aucun effet dans la mesure où des deux cotés de la frontière, au Canada et aux Usa il y a des villes comme Detroit, Chicago, Toronto ou d’autres des deux côtés de la frontière, complètement identiques, soumises exactement aux mêmes films, à la même télévision, à la même violence et l’une a cinq fois plus de violence que l’autre. Il se trouve qu’il y a plus de violence dans les villes américaines où les armes sont en vente libre. Là il y a peut-être un rapport, mais sur le plan de la violence, c’est une espèce de fantasme comme tous les fantasmes sécuritaires, antidrogue ou celui de la peine de mort. On sait que ça ne sert à rien, mais que ça apporte des voix. Par ailleurs, si je commençais à réfléchir en tant que cinéaste à l’effet que mon film va produire, si à chaque fois que je tourne une scène je dois me dire que je vais me sentir responsable si un type, voyant ce film, pense à tuer, on ne peut plus filmer. C’est complètement paralysant. On ne peut pas être responsable de tout le mal de l’humanité. Il faut être irresponsable et avoir pour seul étalon ce que soi on n’aime pas faire. Je n’ai pas envie d’inciter au crime, de faire de la pornographie, au sens de montrer quelque chose que je trouve malsain ou immoral. C’est vrai qu’il y a de la morale dans les mouvements de caméra. Faire comme dans le fameux exemple décrit par Rivette, où un travelling se terme en cadrant bien des fils de fer barbelés dans un camp de concentration, c’est immoral et presque pornographique. C’est ce genre de morale qui m’importe. Par exemple, dans ce film, si j’avais commencé à multiplier les points de vue, à raffiner les scènes de violence, à les rendre plus efficaces comme j’ai pu le faire moi-même dans des films américains, on aurait plus pénétré dans l’esprit de quelqu’un de complaisant qui prend plaisir à faire ce qu’il fait. Or, dans mes personnages, il y en a un qui prie la vierge pour que les balles touchent leur but, que le travail soit bien fait et vite fait, qu’il n’y ait pas besoin de s’étendre dessus, il n’y a pas de plaisir malsain à tuer, et l’autre, c’est un spectateur objectif, le point de vue du passant dans la rue. Il n’était absolument pas justifié de faire un traitement américain de la violence, il fallait au contraire faire ce point de vue du passant. Quand, par exemple, le garçon tue le punk, qui est le premier meurtre, je me suis arrangé pour montrer au minimum le corps du punk une fois mort. Je voulais rendre la scène un peu plus soft et irréelle, autrement le spectateur n’aurait pas continué dans l’histoire, il aurait reproché au personnage principal de ne pas réagir plus. L’histoire se serait arrêtée, le spectateur serait sorti du film. Il fallait que j’excuse le personnage principal. L’excuse, c’est qu’il est complètement amoureux, que c’est la chose la plus belle qui lui est arrivé dans la vie et que, s’il doit choisir entre rester aux côtés de ce garçon qui continue à tuer ou ne plus jamais le revoir, il choisira ce que lui dicte son amour. Il y a une double raison, une raison de dosage de la violence pour que l’on puisse s’identifier au personnage principal et une raison tout simplement relative au point de vue du passant dans la rue.
(...)

[1Cinéaste. A réalisé entre autres : Tricheurs, Barfly, Le Mystère von Bulow, Kiss of Death.