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Numéro 14
Edito
Par Les Périphériques vous parlent |
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Ce numéro des Périphériques vous parlent est le complément du numéro 13. Tous deux sont, en effet, consacrés à la Martinique et, plus largement, aux réalités caraïbéennes et créoles. Toutefois il peut être lu comme un numéro normal du journal même si nous conseillons vivement à nos lecteurs de lire les deux numéros comme un ensemble indissociable.

Comme le numéro 13, rappelons qu’il est le fruit d’un voyage en Martinique de l’équipe rédactionnelle avec l’ensemble théâtral et musical Génération Chaos, et qui s’est déroulé en juin 1999 sur plusieurs semaines. A cette occasion, eurent lieu des rencontres et des entretiens avec des penseurs et des écrivains marquants de la Martinique comme Edouard Glissant, Aimé Césaire, Patrick Chamoiseau ; des travaux et des échanges avec l’association AM4 qui développe l’art martial martiniquais : le danmyé ainsi que les danses traditionnelles Bélé-Kalenda ; des élus locaux martiniquais, notamment le Mouvement des Démocrates et des Ecologistes pour une Martinique Souveraine avec Garcin Malsa et Antoine Denara, et bien d’autres que nous saluons.

Ces rencontres avec ces poètes, ces philosophes, ces écrivains ou encore ces créateurs de pratiques politiques et culturelles de la Martinique, ne prétend bien évidemment pas épuiser la richesse du monde caraïbéen. Nous ne doutons pas un instant que si notre périple nous avait mené à la Guadeloupe, à la Dominique ou encore aux Désirades, nous aurions fait moisson d’autres connaissances et fait de toutes autres découvertes. Le foisonnement des notions fondatrices de "chaos-monde", de "négritude", de "créolisation", de "souveraineté" et bien d’autres qui traversent ces pages avec un "ancrage" proprement martiniquais, se serait alors enrichi d’autres mots, d’autres visions et analyses, multipliant les points de vue et les perspectives pour la pensée et l’action.

Notre but, néanmoins, n’était certainement pas d’ordonner les réalités diffuses et plurielles de la Caraïbe autour d’un mouvement littéraire qui s’appellerait "la créolité" avec ses "représentants". La notion de créolité, voire de "processus de créolisation" comme le propose Edouard Glissant ne vise pas à délimiter un territoire, à figer l’histoire à travers un mot, à caractériser une identité référée à la couleur de peau ou au métissage culturel, mais à offrir une prospective pour penser les turbulences du monde moderne et la diversité culturelle émergeant d’une "mondialité" qui serait plus excitante que celle des capitaux baladeurs et des outlaws névrotiques embarqués dans la guerre économique planétaire.

Ajoutons encore que l’ensemble des contributions et des entretiens de ces deux numéros valent surtout par les dynamiques qu’ils peuvent dégager, les énergies qu’ils libèrent, les pratiques qu’ils génèrent, les devenirs qu’ils seront capables de réaliser. Dans cette optique, nous n’avons nourri lors de leur réalisation aucune ambition d’exhaustivité d’ordre universitaire, où nous serions comptables de ce qui manque, d’éventuelles omissions, de partialités. Bien évidemment, c’est d’une rencontre avec la Martinique dont il s’agit là, avec ses hasards, ses bonheurs et ses fulgurations, non du choix délibéré d’une île à l’exclusion de toute autre île de la Caraïbe.

Césaire disait qu’une île, par son isolement, "est veuve de toutes les autres îles". C’est là à la fois le dommage et la richesse de l’insularité : une île est à la fois une infime partie du monde et, par cette fragmentation, contient en même temps à son échelle, tous les possibles d’un monde à venir parce que tournée vers le dehors et le large. C’est cette tension dans la Relation, comme par un effet d’éloignement, qui la distingue de ces mondes revendiquant leur suffisance comme présomption de leur puissance à l’image des Etats-Unis d’Amérique. C’est pourquoi il nous semble que ce qui se passe et ce qui se pense dans cette partie du monde intéresse au premier chef toutes les autres régions du monde et pas seulement les Dom-Tom, comme on les appelle souvent en Métropole de façon générique et quelque peu négligeante.