Productions
     ACCUEIL LES PERIPHERIQUES VOUS PARLENT RECHERCHER
         
Numéro 12
Le protagoniste, l’agôn, la barbarie
Par Yovan GILLES |

Lorsque Lautréamont écrit que la poésie doit être faite par tous et pour tous, est-ce pour signifier que chacun est en puissance de poésie moyennant, s’il le faut, l’épouvante d’une vie jouée à la roulette russe ?

Imprimer

EXTRAIT

(...)
DEMESURE

C’est chez les grecs que l’on trouve sur le sens originel de poïésis comme production/création. Poïésis a pris tardivement le sens de poésie écrite, celle qui requiert un auteur, est destinée à un lecteur et se réclame d’un genre littéraire. Savoir ce qui a justifié ou amené à une telle spécification, est complexe. Les mots remontent toujours à la surface d’une profondeur dont on essaie en vain de scruter le fond, parfois l’actualité les charge d’une valeur d’échange louche, en tous cas la plupart prennent la couleur des forces qui les peignent à leur image. Dans les couloirs du métro, on a pu voir récemment une publicité avec un slogan : "le pouvoir aux poètes", et, bien en évidence sur l’affiche, une main tenant une plume. La main qui empoigne la plume de canard, et la pose inspirée par le viol d’une page vierge, est-ce l’image publique que les poètes, aujourd’hui, voudraient donner d’eux-mêmes ? Une poésie qui rêve de pouvoir, d’assurance à travers l’adulation d’un geste d’écriture mû par une main sans visage, une main sans corps, une main trop bien dessinée pour être une main vraiment dangereuse.

"Poïéma" en grec, "signifie ce que l’on fait, une création : Une oeuvre, un ouvrage manuel, une création de l’esprit et plus spécialement une prose écrite en vers", si l’on en croit le dictionnaire Historique de la Langue Française (voir dans ce même numéro les remarques sur la Tekhné). Dans ses "Recherches sur les acteurs dans la Grèce Antique" et sur les origines du Théâtre, en particulier la Tragédie, P. Ghiron-Bistagne, fait remarquer que les premiers poètes en Grèce sont d’abord des poètes-acteurs. Acteur, le poète met en scène la parole qui est la sienne. Le poète est un protagoniste, l’athlète qui lutte au premier rang par la parole et l’action. Protagoniste a peu à voir avec l’idée de rôle titre, comme l’agôn a peu à voir avec la visée de compétition sportive qui veut qu’il y ait un gagnant et un perdant à la fin d’un combat. Car le gain du combat n’est pas le dessus que l’on prend sur un homme, mais exprime la démesure d’être un homme dans un monde habité par des dieux. Ce qui dût être ressenti par les anciens grecs comme un déchirement, n’est peut-être plus pour nous qu’une image évocatrice, dans une époque se cherchant de nouveaux défis, où encore des rivaux parient sur des combats hors normes et hors gabarits.
(...)