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Numéro 10
Editorial
Pourquoi ce numéro sur le sport ?
Par Les Périphériques vous parlent |
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Notre but avec ce numéro n’est pas de nous pencher sur le sport. Bien qu’il soit beaucoup de question de sport, tout au long des articles, ce qui est, en l’occurrence, interrogé, c’est le cloisonnement des activités humaines : le repliement de la philosophie sur le question du savoir penser, de la science sur ce qui est digne d’être reconnu comme science, de la danse en tant qu’art du mouvement, du roman comme expression littéraire ; la division du sport en disciplines sportives.

Le cloisonnement des activités a fini par constituer le Savoir, un Savoir fait de disciplines bien distinctes. Chacune de ces disciplines représente une spécialité qui obéit à ses propres lois, en fonction de ses objectifs. L’université et les écoles spécialisées : grandes écoles de l’administration, écoles d’architecture, d’arts plastiques, de médecine, de sport et autres, sont les lieux où s’enseigne chacune de ces disciplines. Dans le cadre social on retrouve grosso modo le même cloisonnement des spécialités.

Bien sûr, des manifestations diverses : conférences, congrès, séminaires, colloques, débats télévisuels ou radiophoniques, essaient bien de faire se rencontrer les spécialistes et les experts de chaque discipline. Maints ouvrages, revues, journaux ouvrent leurs colonnes à des dialogues multidisciplinaires où « les professionnels parlent métiers ». Mais les débats qui se dégagent de telles rencontres reposent la plupart du temps sur ce qui est reconnu comme « la spécificité » de chaque discipline.

Nous avons voulu, présentement, poser le problème tout autrement, surtout pas à partir d’un débat mettant en scène des experts reconnus philosophes, écrivains, scientifiques, sportifs, artistes, politiques, professeurs ou autres propriétaires de « papiers d’identification professionnelle ».

Bruno Latour, dans La science en action oppose la science « en train de se faire » à la science « toute faite », qu’il dénomme par ailleurs science « prête à porter ». Il nous dit à ce propos « qu’il n’y a guère de rapport entre la science et la recherche scientifique », faisant remarquer un peu plus loin : « Et pourtant il n’y a rien qui n’ait été un jour dans la science incertaine et vivante ». Plus précisément, notre visée avec ce numéro est d’attirer l’attention « citoyenne » sur ce qui est « en train de se faire » un peu partout, sans trop trouver d’écho, il faut bien le constater, chez ceux qui ont pour fonction d’éclairer l’opinion. Dans cet esprit, nous avons voulu réunir, « dans l’incertain et le vivant » des « gens de terrain », du terrain de l’artistique, du sport, de la philosophie, de la politique et quelques autres ; non pour leur mander de « parler métier », mais pour qu’ils nous disent ce qu’il en est de leur activité quand elle rencontre d’autres activités. Quel type d’interrogation prend alors forme ?

Ce numéro n’a donc pas pour but de rapporter l’opinion de professionnels de diverses disciplines, mais de mettre en scène des pratiques philosophiques, artistiques, sportives, politiques lorsqu’elles s’interrogent sur elles-mêmes. Ces pratiques, dans la mesure où elles cherchent à sortir du déjà-là culturel qui qualifie, aux yeux de l’opinion, leur discipline, sont amenées à rencontrer les autres disciplines sur un terrain bien spécifique : celui du changement. Une question survient alors : Qu’est-ce qui change chez vous qui pourrait nous expliquer ce qui change chez nous ? C’est dans cette acception qu’on peut parler du changement comme d’un échange, un échange signifiant : « échanger ce que chacun nous sommes en train de changer ».


Si la pensée ne conduit pas au corps, si le corps ne conduit pas à la pensée, la philosophie et le sport sont inutiles à l’être humain.


C’est donc à bon escient que nous proposons le mot mise en scène, dans la mesure où il met l’accent sur le vivant en train de se réaliser. Par là, il renvoie à une perception « scénologique », qui pousse à prendre en considération la créativité (ce qui est en train de se créer) plutôt que la Création grand C (qui renvoie à la fétichisation du « Chef d’Œuvre » pour l’art, du Haut Fait pour le sport ou de la Nobélisation pour la science). C’est cette considération que semble prendre en compte Jean-Marie Pradier, un des fondateurs de « l’ethnoscénologie » [ voir note ] quand il écrit : « Le triomphalisme technologique conduit à la massification des formes culturelles. Les modèles dominants sont diffusés et donnés pour universels, tandis que l’extrême variété des pratiques ne trouve pas droit de cité. Le contact entre les cultures donne souvent lieu à de simples transferts de stéréotype, sans souci de connaissance et compréhension de l’autre. À l’opposé de tout hégémonisme culturel aussi bien que de tout rapt simplificateur, l’ethnoscénologie, souhaite montrer l’extrême vitalité et la complexité de l’invention humaine ».

Disons, qu’avec ce numéro, nous proposons de comprendre ce qu’il en est de la culture de l’époque, et ceci, non pas en questionnant l’idée qui en est donnée par les divers courants de la pensée, d’aujourd’hui, mais en cherchant, plutôt, du côté du projet ethnoscénologique, les instruments, les procédures permettant de comprendre la culture à travers les pratiques et les expressions de ceux qui la font, sur le terrain, au moment où ils la font.