Productions
     ACCUEIL LES PERIPHERIQUES VOUS PARLENT RECHERCHER
         
Numéro 10
Musique/Sport/Overflow
Par Les Périphériques vous parlent |

Mettre le jeu en jeu ?
Expérimentation sport, théâtralité, musique, entreprise en février dernier.

Imprimer

- Dans quelle mesure la compétition (prise au sens étymologique de chercher ensemble et non plus d’élimination de l’autre) peut-elle permettre de changer les critères mesurant la performance sportive ?

- Comment sortir de ces deux logiques : l’individu contre le collectif ou l’individu au service du collectif, pour imaginer des dispositifs de jeu qui rendent chacun capable d’être soi-même avec les autres ?

- Quelle pédagogie inventer, quelles procédures mettre en place afin que les usages du corps offrent à la pensée de nouveaux terrains d’expérimentation et de la profondeur de champ ?

C’est autour de questions de ce type et de bien d’autres que les 6, 7 et 8 février derniers s’est déroulée, au CREPS de Chatenay Malabry, une rencontre-séminaire entre des jeunes pratiquants, des animateurs et éducateurs sportifs de la FSGT, AS Laumière, Repi 2000, Maison des Copains de la Villette, et Les périphériques vous parlent et Génération Chaos. Notons que plusieurs rencontres préalables avaient déjà eu lieu entre les protagonistes de la démarche, aboutissant à l’organisation de ce séminaire à l’objet quelque peu inédit : explorer la rencontre interactive pouvant se produire entre des pratiques sportives et la théâtralité et la musique.

Thierry (AS Laumière) : « Les trois points principaux que nous ont apporté ces trois jours : savoir que l’on pouvait travailler ensemble malgré nos différences, mettre au point certaines techniques de travail, certaines méthodes modulables suivant le type d’enfants dont on a à s’occuper ». Une recherche concertée a permis de mettre en place de procédures de créativité commune à des démarches omnisports et artistiques (théâtralité et musique) ; mais plus encore elle a permis une réflexion sur l’évolution des pratiques sportives dans les quartiers, et sur les finalités qui déterminent la compétence de l’animateur ou de l’éducateur sportif dans le contexte social actuel.

David (FSGT) : « Ce stage, en fait, est une étape qui a commencé. Du point de vue des pratiques sportives, elle peut consister à ne pas considérer comme acquis ce que l’on croit acquis. Les formes de rencontres sportives se reproduisent sans, bien souvent, que l’on se pose la question de savoir si elles sont adaptées aux gens à qui elles sont destinées. » Le terme Overflow : débordement en anglais, devait traduire justement l’exigence partagée par les participants de se réunir, pour aller au-delà d’une démonstration des savoir-faire de chacun. Il s’est agi, bien au contraire, de se mettre en situation de non-savoir quant à la manière même de pouvoir conduire ensemble une recherche portant sur le vivant.

Comment, en effet, constituer à partir des différences, des pratiques un collectif qui arrive in situ à qualifier progressivement des objets de recherche. Soit, non seulement d’être capable d’engager des expériences, de se fixer des contraintes, de définir des règles, mais aussi, à chaque fois, dans un second temps, de prendre acte, d’évaluer, d’observer ce qui peut être pertinent sur le théâtre des opérations ; pouvoir avancer, encore, en tirant les conséquences d’expérimentations aptes à faire progresser les connaissances.

Qu’il s’agisse de la pratique sportive ou celles relatives à la théâtralité, toutes deux doivent être d’abord considérées comme des pratiques sociales spécifiant le rapport à soi, à l’autre, au groupe. Matthias (AS Laumière) exprime, à ce propos, la relation pouvant exister entre le geste sportif et le geste artistique dans le fait d’ajuster sa passe en football ; plus que la précision technique, l’enjeu de la passe est la qualité du don, la passe, c’est l’aspect sensible du don : « Dans le premier exercice, j’ai proposé la décomposition de la frappe de balle. Avec des enfants de six à huit ans, si on leur donne un ballon tout de suite, ils vont shooter dedans immédiatement et le but du jeu sera alors de tirer le plus fort possible pour toucher son copain. Avec la décomposition du mouvement, on montre que le but du jeu n’est pas la frappe mais la maîtrise du ballon. D’autant plus qu’il est plus difficile de faire une passe doucement que de la faire vite. »

À travers cette expérience Musique/Sport/Overflow on pourrait risquer les observations suivantes : à savoir que l’urgence pour toute une génération de résister à des processus de précarisation et de disqualification culturelle exprime aussi un paradoxe : celui de prendre le temps de la recherche fondamentale, si nécessaire pour se mettre en perspective avec les autres. Il s’agit de se rapproprier la capacité d’être en devenir dans un contexte social incitant le plus souvent à la résignation, poussant chacun à jouer sa partie contre l’autre en luttant pour sa propre survie.

C’est pourquoi ni le sport, ni la pratique artistique ne sauraient être des fins en soi ; nous ne saurions accepter qu’elles se donnent pour objectif, soit d’inculquer savamment la soumission docile pour nourrir les spectacles nauséabonds promus par le marché et le marketing, soit, à l’inverse, de servir de prétexte pour occuper, pacifier, contenir une jeunesse des périphéries que l’on a tendance à enfermer dans des clichés excluant bien des possibles en déniant à toute une génération sa richesse. Se défaire de ces réflexes culturels n’est pas une petite affaire.