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Numéro 22
Réminiscences inspirées par la lecture de Profession Corrupteur
par Cristina Bertelli

La corruption, c’est la banalité du mal, dirait l’autre. Certes, le pouvoir de la mafia est grand, mais les citoyens, que ce pouvoir d’ailleurs invite à un examen de conscience, sont pourtant en mesure de le faire chanceler. Souvenir d’Italie.

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Extrait

Je lis le livre de Roger Lenglet comme si je visionnais un film. Finalement, voilà, de quelque angle d’où je le regarde, je constate que tout ce qui y est cadré par l’objectif ne vise pas à nous éblouir à travers un effet de réel journalistique, mais constitue bel et bien un arrêt sur une image vraie du réel, un plan de coupe de la réalité, un travelling sur le délire, un zoom sur la gratuité de la violence, un plan américain sur les milliers d’hommes politiques en chair et os qui nous gouvernent, une photo de classe des corrompus : la classe des 35, la classe des 42, des patrons de l’immobilier, des médecins, des architectes, avec une dominante : l’homme qui a fait de la politique son métier principal juste le temps de s’en mettre plein les poches. Vertige. Roger Lenglet est cette caméra qui pénètre un mécanisme pour en dévoiler la machination : rigueur et simplicité du méthodiste infaillible. Il est l’œil du chirurgien qui ausculte les artères d’un bonhomme endormi pour y déceler les incrustations malignes qui le pourrissent de l’intérieur. Dans le corps malade du pouvoir, il y a abondance de pathologies. Nous nous trouvons directement sur le théâtre des opérations du pouvoir, ici, aujourd’hui, hier soir, demain matin à Paris, à Bordeaux, à Troyes, à Nantes, à Marseille. Nous y apprenons ses méthodes crues, sans recours à une analyse théorique particulière - Roger Lenglet nous épargne cela, merci. Sa démarche met le réel à vif. Cette mécanicité et technicité des rouages économiques et politiques dont nous parlent les corrupteurs dérive d’une stratégie, bien sûr, elle fait partie d’un système de pouvoir à grande et à petite échelle, mais le livre en revient constamment aux faits : passage physique de l’argent d’une main à l’autre, commission à l’intermédiaire... la corruption est pratique simple et ordinaire. C’est toujours l’ordinaire de leur quotidien qui dissimule les tueurs en série et confond à la suite les investigateurs. Un vrai exercice de va et vient entre pouvoir et puissance.

Photo Tendance Flue

Depuis mon adolescence en Italie, j’ai entendu des histoires de mafia. Jusqu’à mes trente ans, je les avais écoutées comme si elles appartenaient à un monde lointain, égrainées par les victimes. Comme tout le monde, je me disais que cela était exagéré, et que, modernité oblige, le devenir démocratique évident de nos sociétés aurait progressivement raison de toute turbulence corruptrice et que la mafia était inexorablement destinée à disparaître. Jusqu’au jour où des raisons professionnelles et un projet international avec l’Unesco m’ont amenée à une collaboration avec une grande entreprise d’état italienne et le réseau de holding et de sous holding qui s’y rattachaient.