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Numéro 30 WEB
Edito
photos de Yovan Gilles

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La mondialisation est terminée

Les dernières décennies ont vu le déferlement d’un vocable : la mondialisation, dont la portée a recouvert et hanté l’ensemble des débats concernant les mutations du monde contemporain. Pour la première fois dans l’histoire des humanités, ce processus faisait émerger une conscience diffuse, scellant le destin des humanités pour la résolution des problèmes la concernant ; l’humanité devenait en partie présence à elle-même pour le pire et le meilleur, même si l’idée de mondialité, suggérée par Edouard Glissant, excède le sens imparti à la mondialisation économique au sens étroit du terme.

Curieusement, et presque d’une manière quasi simultanée qui ne cesse de s’amplifier aujourd’hui, les peuples qui se percevaient de plus en plus tributaires d’une gouvernance mondiale se cherchant, de même que dépendants d’interactions complexes entravant les décisions nationales et unilatérales en tous domaines, ces peuples sont confrontés aujourd’hui à un nouveau séisme symbolique : en effet, la crise écologique planétaire dessine les limites d’un monde dont la croissance durant deux siècles préjugeait de l’illimitation en ressources, en possibilités d’expansion, d’annexions, d’exploitations éclairées ou bien cupides des choses, des êtres, des espèces, de tout ce qui peut être capitalisable et dont on peut tirer un profit.

Autrement dit, nous avons vécu deux révolutions imaginantes et figuratives se chevauchant et s’annulant l’une l’autre : l’idée d’une mondialité devenu immanente aux consciences régionales et, en même temps, la révélation que ce monde humain était fini, en danger à court terme ; que les humanités oeuvraient à leur propre disparition, du moins à leur annihilation partielle si elles ne mettaient justement un frein à une mondialisation dévoratrice du vivant.

La mondialisation aura été un échec rempilant sur une actuelle crise financière dont nul ne sait l’issue et mettant aux prises trois empires : les Etats-Unis, la Chine et l’Europe engagés dans des guerres commerciales tonitruantes et des rivalités de leadership non-déguisées. En tous cas, ce n’est plus cette mondialisation qui est à l’ordre du jour des débats planétaires.

Les frontières, la mondialisation ne les aura pas abolies, tout au plus aura-t-elle fait tomber quelques barrières douanières. Devant tant de fiascos, l’humeur des humanités sera bientôt à l’heure des localisations et des ressourcements localo-rhyzomiques. La mondialisation a été une exhortation à la rallier si l’on ne voulait pas se trouver exclu d’un progrès inéluctable. Mais ce progrès tend, comme disait Lévy-Strauss, vers l’instauration d’une mono-culture, qui enveloppe la diversité certes, mais dont le mobile est l’homogénéisation progressive de cette diversité au prétexte que les cultures qui ne sont pas vendables au plus grand nombre de clients et solubles dans le worldstreaming sont imputables à l’enfermement dans des particularismes, et surtout ce sont des gages de moins value commerciale.

La mondialisation, encore, comme mythe de la postmodernité, dissolvant socialisme et capitalisme dans le bain des conceptions éculées, dont nul n’est dupe des présumées vertus, même pas les milliards de pauvres croupissant dans le surtravail sous-rémunéré, aura comme revers une nouvelle régionalisation des états psychiques, des formes culturelles, des solidarités sociales et des aménagements économiques, à la fois ancrées et nomades, topiques et atypiques, particularismes manifestant la vérité du relatif.

La gouvernance mondiale demeure une idée régulatrice des conflits et des déséquilibres générés par les appétences concurrentielles des nations qui ont plus que jamais l’orgueil de leur suffisance. Mais c’est seulement une idée régulatrice, sans doute nécessaire, mais non un principe unificateur, ou le sens de l’histoire.

Le monde est un désordre en quête de structure et quand ses structures le figent, il se met en recherche de désordre et se défige à nouveau. C’est pour cette raison sans doute, que le changement, au delà du mot affiché allégrement par les politiques volontaristes, est perçu également comme une menace ouvrant la voix au désordre, c’est-à-dire à un nouveau commencement, à un nouvel agencement succédant à une histoire où chacun avait conquis sa place.

La mondialisation ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Dans vingt ou trente ans, ce vocable usité à l’encan aura déserté les paysages mentaux. Les questions principielles, éco-politiques, auront trait à la survivance ou au déclin des humanités dans un cadre de vie dérobé au vicié et au frelaté, où les saveurs particulières, les logiciels libres, les savoirs migrants, les technologies moins énergivores, les stratégies co-opératoires, les pratiques culturelles transdisciplinaires et artistiques succéderont aux logiques compétitives à somme négative. Voilà ce que donnent à lire et à entendre les différents articles, productions et émissions composant ce numéro.

La mondialisation était un avènement unique, les localisations sont ouvertes, multiples et plastiques aux frontières mouvantes reliant sujets et collectifs, territoires et terroirs revitalisés, pays et communautés transfrontaliers, continentaux et îliens, urbains et ruraux.

Yovan Gilles pour la rédaction