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Numéro 32
Édito
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La politique symbolise aujourd’hui pour la majorité un jeu de contradictions inextricables qui traduit l’antagonisme entre les bonnes intentions des gouvernants censés répondre aux enjeux mondiaux (crise écologique et financière, inégalités sociales et de développement) et des intérêts économiques et géostratégiques.

La plupart des pays essaient d’harmoniser, par exemple, les exigences de croissance et le bien-être socio-économique à la préservation des ressources et des écosystèmes, au développement des énergies renouvelables et à la réduction des gaz à effet de serre, facteurs présidant à la viabilité future de la vie humaine sur la planète. Les oxymores même de “développement durable” ou “d’économie verte” en témoignent. Et bien des formules lénifiantes trahissent la difficulté d’opérer des choix radicaux, se contentant dans le meilleur des cas de pâles régulations du système de production. La raison invoquée est que l’interdépendance entre les pays, au plan économique et financier, est si considérable aujourd’hui, qu’il serait suicidaire pour l’un d’entre eux d’oser des changements dont l’audace contrasterait avec la politique des petits pas en matière d’écologie, mais également au niveau des politiques sociales.

Plus généralement, une situation de schizophrénie généralisée s’installe dans tous les pays entre la défense de leurs prérogatives, leurs performances industrielles et technologiques, et la nécessaire mutation d’un mode de développement à vocation consumériste, dont chacun sait le caractère peu reconductible à terme sous ses formes actuelles. Ceci explique le hiatus entre des politiques intérieures incitant à une croissance sans borne soi-disant pourvoyeuse en emplois et, en matière de politique extérieure, un ton déploratif et alarmiste de la part des nations hyper-industrialisées prônant des mesures fébriles pour “sauver la planète”, sans bien vouloir prendre la mesure de la transformation des modes de produire et de consommer que cet objectif implique ; entre autres la disparition ou la reconversion brutale de pans entiers de l’industrie avec le chantage à l’emploi que cela induit.

Cette situation a des accents quelque peu tragiques. Elle assoit en politique le règne de l’hypocrisie et du mensonge ou alors celui des aménagements laborieux, des reconversions trop lentes (en agriculture notamment), des palliatifs. Nous savons, par exemple, que la fuite des polluants organiques persistants sur la planète utilisés par de nombreuses technologies est à l’origine de millions de cancers de la thyroïde et de leucémies chaque année dans le monde (source OMS). La fabrication des mêmes technologies avec des composants métabolisables par les organismes vivants est tout à fait possible, mais elle s’accompagnerait d’une destruction d’emplois dans les industries concernées. Quels choix devons-nous faire alors ? Éviter une destruction d’emplois et sauver l’industrie en sacrifiant les enjeux de salubrité publique, sachant que le maintien de ces emplois ne fera que reconduire et aggraver la crise sanitaire mondiale ? Entre deux maux, devons-nous choisir le moindre ou le pire, une fois que nous aurons eu un débat de normes entre nations établissant quel est le moindre et quel est le pire ? Ce sont là des questions décisives de philosophie politique. La conciliation et la médiation sont du ressort du politique bien sûr, mais jusqu’où ?, si l’on considère la gravité de certains enjeux qui ne tolèrent plus de ménager la chèvre et le chou, au gré des variables contextuelles qui justifient toujours des résolutions bien volubiles.

La question est de savoir comment infléchir sur les orientations à prendre. Ce numéro des Périphériques est une invitation à devenir toutes et tous des expert(e)s profanes, en mouvement pour un devenir humain. Le citoyen doit s’approprier la capacité de fixer l’ordre du jour, écrivait avec nous l’économiste Riccardo Petrella en 1997. Il ne s’agit plus ni de déléguer, ni de faire des économies dé-culpabilisantes sur l’eau de nos robinets, mais de faire la relation entre le microcosme et le macrocosme, de reprendre en main notre devenir. C’est à quoi notre rédaction vous invite.