Dossier de Presse |
Article paru dans La République du Centre du 29 mars 1995 :
DEMAIN L'AGRICULTURE ?
Le lycée de La Saussaye témoigne
Dans « Les périphériques vous parlent », le film « Les temps précaires », comme à l'université de Paris VIII, les étudiants agricoles plaident pour leur devenir.
« Les politiques ne pensent pas à l'avenir, par profession ils pensent à demain. » La caméra qui filmait, à grande vitesse, les champs qui défilent, au bord de l'autoroute. pour n'en retenir qu'une image incertaine, s'est arrêtée sur le visage d'Edgar Pisani. L'ancien ministre de l'Agriculture du général de Gaulle, en peu de mots, cerne le malaise qui plonge la société française entre apathie et révoltes corporatives sporadiques. Avec, au cœur de la crise, crise de confiance, crise de civilisation, la disparition programmée de l'agriculture. (...)
Des étudiants au cœur du débat pour leur devenir et qui témoignent de leur fierté du métier d'agriculteur. Qui témoignent aussi bien aux côtés des étudiants citadins, à l'université de Paris VIII, que dans le remarquable film documentaire de Wladimir Tchertkoff, saisissante photographie de la société française aujourd'hui.
Un film produit par la télévision suisse, diffusé dans la plupart des pays de l'Union européenne, mais que vous ne verrez pas à la télévision française pour cause de campagne présidentielle. Tout au plus le ministère de l'Agriculture en a fait l'acquisition de quelques copies avec une tolérance de diffusion limitée au seul usage pédagogique dans les lycées agricoles.
Ce qui indigne d'ailleurs lesdits lycéens.
Le divorce de l'économie et de la société
De septembre 1993 au printemps 1994, la France a connu, en sept mois, cinq secousses socio-économiques « qui sont en train d'en modifier l'autoconscience collective face à la crise ».
Nous avons encore en mémoire les images de cette fin d'été où les paysans bloquent les accès de Paris pour protester contre les accords du GATT sur le commerce international, qui condamnent à mort 500 000 petites et moyennes exploitations. Celles, en octobre, des grèves d'Air France paralysant les aéroports. En janvier, ce fut la protestation des laïcs qui devait contraindre le gouvernement Balladur à renoncer au financement public des écoles privées (...)
(...protestation contre l'effondrement des cours du) marché du poisson, qui devait aboutir au tragique incendie du Parlement de Rennes. En mars, enfin, les jeunes lycéens découvrent soudain, à l'occasion d'un décret sur le salaire minimum d'insertion, qu'ils n'ont pas de futur.
Sur cette trame, fracture entre les exclus et les nantis, s'articule le film de Tchertkoff pour aller plus loin que l'événementiel. Entre les interventions d'Edgard Pisani et celles du sociologue Alain Touraine, les acteurs de la crise, agriculteurs, pécheurs et surtout les jeunes citadins et ruraux confondus.
Montage rapide, des images expressives, des portraits vérité, en particulier de femmes, qui en mer, qui au cœur des fermes, disent simplement leur dignité de vivre de leur travail en développant des qualités humaines, des initiatives, le sens des responsabilités et des visions d'avenir.
Ici, c'est Frédéric, étudiant en agronomie, qui a terminé ses études à La Saussaye et dit sa volonté en Beauce ou sur une autre terre de poursuivre le métier avec de l'imagination et en solidarité avec d'autres agriculteurs.
Là, c'est Mme Coigneau, au fond du Perche, décidée à étendre son exploitation pour survivre qui constate : « Pour reprendre l'exploitation de ma sœur, on avait tout pour passer face aux lois, au bout du compte c'est un “gros” qui l'a eue. »
Sans doctrines ni maîtres, affronter l'instabilité
Le rythme du film, sa respiration est apportée par « Génération Chaos », cette forme d'expression gestuelle et musicale associant théâtre et politique au service des individus, pour une prise de conscience et de solidarité collectives apte à faire résister, responsabiliser, puis construire.
Ce spectacle de l'emblématique Marc'O, figure militante des années 60, reconverti dans l'usage artistique des nouvelles technologies, fut donné en novembre 1993 au lycee agricole de la Saussaye. Des contacts se sont noués et les élèves de terminale D', de BTS ACSE (analyse et conduite des systèmes d'exploitations agricoles) et BTS (Industrie agro-alimentaire) se sont exprimés dans « Les périphériques vous parlent », la publication du « Laboratoire du changement », prolongement de Generation Chaos. »
Cinq textes dans le numéro 1 pour dire à la fois l'incompréhension dont ils font l'objet, leur incertitude du lendemain et leurs projets. Puis, dans un numéro spécial « Objectif jeunesse », leur analyse face à l'échec de la règle du profit et des impératifs de la productivité.
Leurs propositions aussi, comme le développement de la qualité des produits alimentaires « qui représente l'avenir de l'agriculture et des entreprises agro-alimentaires ».
Ces jeunes qu'on disait déjà résignés comme leurs aînés au triste rabâchage d'une politique-spectacle qui tourne en rond, on les trouve inquiets, certes, mais lucides, intelligents, prêts à résister, à réfléchir aux diverses solutions à venir pour valoriser leur métier et leurs produits, à faire entendre leur voix pour construire leur avenir, persuadés que personne ne le fera à leur place.
Michel BOUDAUD.
Retour à la liste |
Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 14 avril 03 par TMTM
Powered by Debian GNU-Linux 2.4.18