Dossier de Presse |
Article paru dans Le Courrier de Genève du 13 août 1997 :
RENCONTRES
À Limans, les « villages » du monde prônent une résistance active
« Faisons grandir le caillou dans la chaussure de la mondialisation qui exclut », a proposé l'économiste Riccardo Petrella, membre du « Groupe de Lisbonne ».
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL |
Sous un chapiteau à l'enseigne des premiers « Fora des villages du monde », trois jours de discussions nourries viennent de s'achever. Entre le 5 et le 7 août, sur une colline provençale des environs de Forcalquier, divers participants venus des quatre continents se sont exprimés. On a pu écouter, entre autres, les interventions d'Anwar Abou Eishesh, de la municipalité d'Hébron. Ou de Graziano Zoni, de la coalition pacifiste italienne « Tavola della Pace », et de Fabienne Desroches, de l'Université de Montréal. Diolinda Alves de Souza, déléguée du Mouvement des paysans sans terre du Brésil, y a poursuivi son tour d'Europe de la solidarité - voir notre édition du 6 août. Au total, et sous l'égide du « Groupe de Lisbonne », de « Longo Maï », du « Forum civique européen » et du journal Les périphériques vous parlent, ce ne sont pas moins de quarante-six communautés qui se sont fait entendre à l'occasion de ces « fora » de Limans, alors que les organisateurs avaient imaginé, à l'origine, accueillir une quinzaine de « villages ». Mais ils sont arrivés plus nombreux. Une seule absence tragique est d'ailleurs à déplorer (cf. Périphériques, n° 8, p. 9 et 62, note du WebMaster). Les « villageois » sont tombés d'accord pour tenter de bâtir une véritable « citadelle de la résistance », selon l'expression de Binta Sarr, coordinatrice de l'Association pour la promotion de la femme sénégalaise. Dans le même ordre d'idée, Fabienne Desroches, initiatrice d'un programme d'« éducation planétaire » destiné à sensibiliser les étudiants à l'environnement, à l'éthique, etc., a affirmé qu'il importait de « former de futurs résistants-citoyens ». « La mondialisation, a-t-elle ajouté, tend à s'adresser à des consommateurs non critiques. Si nous sommes passifs, nous subissons. Si nous sommes actifs, nous modifions le monde. » Son compatriote, Jacques Proulx, de l'association « Solidarité rurale », a abondé dans ce sens et déclaré que « quand les citoyens ont confiance en eux-mêmes beaucoup de choses deviennent réalisables ». En somme, chacun a admis que la pratique - notamment celle de la citoyenneté - comptait davantage que les grandes constructions théoriques. Un tel postulat n'a pourtant pas empêché certains de souhaiter la création d'un « lexique » de la modernité afin de pouvoir lutter à armes égales - ou moins inéquitables - contre les coups de boutoir de la globalisation, et pour faire en sorte que les mots recèlent le même sens au Nord qu'au Sud.
Garcin Malsa, maire de la commune martiniquaise de Sainte-Anne, partisan de l'indépendance de son île, a parlé de la nécessité, dans les rapports Nord-Sud, de « décoloniser les esprits ». L'ampleur de la tâche apparaît évidente mais, comme l'a soutenu Mathieu Furet, de l'association franco-belge « Rhizome », orientée sur l'accès aux moyens d'existence des agriculteurs, « être condamnés à réussir » ne doit pas dissuader d'essayer quelque chose, de rechercher une issue.
« CHERCHER ENSEMBLE »
Lors des assemblées plénières, autant qu'au moment des débats éclatés autour de tables de réflexion à bâtons rompus, la volonté de « chercher ensemble » a marqué l'essentiel des travaux amorcés dans les « fora ». On peut voir là une compétition en vue de proposer une forme de solidarité alternative, en quelque façon, puisqu'en latin cum petere se traduit par « chercher en commun » et se trouve à l'origine du terme « compétitivité ». L'ancrage étymologique des « fora » reflète en fait le désir de « promouvoir une autre narration », une « contre-rhétorique » bien enracinées, selon les mots même de Riccardo Petrella.
À Limans, on a prôné une mondialisation pluraliste et humaine. D'où l'exploration de pistes, non sans difficultés d'ailleurs en raison de la multiplicité des approches et des expériences personnelles. Au cours des trois jours des « fora », les orateurs ont défendu la créativité car ils y ont décelé un antidote à l'acharnement conservateur jugé insuffisant, sinon contre-productif. Le néolibéralisme a été stigmatisé comme somnifère et générateur de marginalisation, les récits se sont succédés. Cependant, le temps a manqué pour définir concrètement - et par des mots satisfaisants pour les gens de quatre continents - comment repousser la tentation de « laisser à des experts le soin de tracer le chemin où engager nos pas », pour reprendre la formule du journal francilien Les périphériques vous parlent.
Les débats ont ainsi connu des minutes riches et d'autres nettement plus faibles. Une idée émerge toutefois : Riccardo Petrella a lancé le projet de « contrats sociaux mondiaux » sur les thèmes les plus urgents tels que l'eau, la démocratie, etc..
QUEL SUIVI DES FORA ?
Une fois remises les écouteurs et les projecteurs éteints, comment le processus annoncé à Limans germera-t-il ? Pour ne pas perdre ce qui a été échangé, Giovanni Papa - responsable d'une coopérative de développement écologique dans le Piémont - a préconisé la constitution d'un réseau internet. D'autres moyens de garder une trace des consultations provençales ont été évoqués : une librairie des « fora » dans la ville d'Arles, une deuxième réunion à Saint-Denis en octobre 1998 de manière à profiter des retombées du Mondial de football qui aura braqué les yeux du monde sur l'Île-de-France... À moins que les prochains « fora » n'aient lieu au Québec. « On a un point de départ », a souligné Riccardo Petrella, « il doit devenir un ferment ». Mais les participants ne sont pas parvenus à créer un comité coordinateur, par exemple. L'idée d'une instance de contrôle - fut-elle virtuelle - a affolé les esprits. S'agit-il pour autant d'un échec ? Nicolas Furet, de « Longo Maï », refuse de parler de ratage et pense plutôt qu'il faut donner du temps au temps en évitant de se jeter trop tôt dans une bataille. Il a cité l'exemple du sous-commandant zapatiste Marcos, lequel a œuvré quinze ans dans l'État mexicain du Chiapas, dans la discrétion, avant de déclencher la fameuse rébellion. Dans cette optique, le fait même d'avoir réuni les représentants de quarante-six « villages » de l'Ardèche à la Palestine et du Brésil à Madagascar serait plutôt un événement positif voire encourageant. Mais les résultats ne seront pas rapidement visibles.
MARC-OLIVIER PARLATANO
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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 18 octobre 03 par TMTM