AVRIL 1993 p. 6 |
Courrier |
Je ne suis pas et je n'ai jamais été étudiant. Je ne connais de l'université que ce que l'on a bien voulu m'en dire, et je crois d'ailleurs que ceux qui m'en parlèrent ne savaient peut-être pas bien de-quoi ils parlaient.
Je n'ai gardé de ces quelques témoignages et récits qu'un souvenir flou et fatigué.
Un bien étrange souvenir tant il changeait le cours du temps pour me parler, non pas du passé mais bien de l'avenir.
Peut-on seulement se souvenir de demain ? - voilà ce qu'il voulait me dire.
Mais à qui s'adressait-il ? Etait-ce vraiment à moi, ou à celui que j'aurais pu être ?
Etudiant peut-être ; une démarche dictée par le désir de connaissance ?
Mais n'ai-je pas eu cette démarche ?
La seule différence est que j'ai désiré connaître ce qui était en moi, ce qui était en l'autre, ce qu'il y avait entre lui et moi ce qu'il y avait de lui en moi, et de moi en lui.
Mais avant de savoir tout cela, je m'étais déjà aperçu qu'entre lui et moi il y avait l'air.
L'AUTRE ET MOI
Il a toujours pensé que l'autre avait plus d'importance que lui-même. Et c'est au moment où il pensait le plus à lui-même que cette étrange certitude s'imposait. Il pensait, en fait, que son existence se fondait de l'autre. Que suis-je, si l'autre m'ignore ? C'est là, la question d'Hamlet : être ou ne pas être l'objet de l'attention de l'autre. Il se dit : “être ou ne pas être” ? est une question qui ne se justifie que de l'intérêt que je porte à l'autre parce que cet intérêt me prouve que je pense, donc que je suis. Je suis dans la mesure où je constate la différence de l'autre, et cet autre différent me dit ma différence. |
Nous avions l'air.
L'air de dire que nous étions différents, mais que cette différence ne pouvait exister qu'à la seule condition que l'autre existe. Mais quelle était cette différence ?
Il apprenait ce que l'autre voulait bien lui apprendre en oubliant que ce dernier n'avait pas appris à apprendre ; tandis que j'apprenais à écouter ce que l'autre ne savait pas encore me dire, il ne savait pas encore que déjà il m'avait appris.
Il ne le savait pas, car sa connaissance était enfouie en un endroit qu'il n'avait pas encore exploré.
Il n'avait pas pensé à chercher en lui.
Si je veux savoir qui il est, il doit le savoir aussi ; et si je sais à mon tour qui je suis, alors je n'aurai plus besoin de le lui dire. Nous restons différents, mais il ne le comprend pas encore ; il ne comprend pas que sa différence, c'est lui et qu'en cela, il marquera la mienne. Je lui demande s'il a compris enfin, je lui donne une aiguille, entre mes doigts je tiens un fil ; s'il a compris il laissera entrer le fil dans le trou de l'aiguille. Je dirige le fil, mais il me pique le doigt. Il me pique car on lui a appris à piquer, et parce qu'il a tout appris comme cela. Il est étranger à lui-meme, mais j'ai l'espoir qu'un jour il le sache, qu'un jour il se le dise. On dit qu'au moment où le fou s'aperçoit qu'il est fou, alors il ne l'est plus... Il pense à présent qu'il doit réagir, mais réagir ne sert à rien, car avant qu'il ne soit trop tard, il faut agir dans le temps. Nous restons différents mais il ne souhaite pas en connaître davantage ; il pense que notre avenir appartient au temps qui passe. Mais il se trompe car avant que le temps n'étudie mon devenir, j'avais pris soin d'étudier le temps.
Christophe Soulié-Brunel
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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 23 avril 03 par TMTM
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