AVRIL 1993 p. 12 |
L'éternel absent |
Je pense n'avoir jamais vu, ni surtout entendu l'aurore se lever sur l'écran qui sépare notre regard en deux. Pourtant c'est bien maintenant, où tout est déjà si perdu et achevé pour mourir, qu'il faudra un jour le faire renaître sans patience ni raison, sans conscience ni vision.
Au lieu de nous conseiller de ne pas rêver, les adultes feraient mieux de se demander ce qu'ils ont fait de leurs rêves de jeunesse. Et pourquoi au beau milieu de leur vie, ou au seuil de la mort, la plupart d'entre eux sont-ils si peu satisfaits de ce monde qu'ils ont fait ou laissé faire ? Et pourquoi est-ce aux jeunes qu'ils s'en prennent ? C'est eux qui ont fait tout ça, tout ce désastre pour nous empêcher de chanter. Nous ne voulons pas pleurer sur leur désenchantement, maintenant.
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Je veux librement pouvoir ne rien expliquer, car comme disait Nietzsche : « l'art n'a pas besoin de certitudes », je sais seulement que nous serons ceux qui vaincrons l'image par l'image, ceux qui triompherons de l'art par l'art et pour un rapprochement de lui-même avec la vie. Cela peut être qualifié d'un impossible, mais c'est bien parce que c'en est un, qu'il faudra le vaincre et non le détruire.
J'appellerai dès lors notre personnalité : La troisième contribution au livret des poux en tant qu'il s'agit de notre devenir, nous deviendrons ce que nous sommes, c'est-à-dire la troisième génération, sortie du sein d'une modernité finissante ou qui n'en finit pas de mourir, à qui plus rien ne peut arriver et a donc tout à saisir, à s'emparer dès maintenant « Tu n'as aucune chance, alors saisis-la », ce paradoxe de Schopenhauer semble nous parler de notre volonté la plus immédiate.
Voilà pourquoi le cinéma, déjà si mort qu'il ne peut plus que survivre à sa mémoire, qu'il ne peut plus bouger sinon que dans sa tombe, voilà pourquoi ce sur quoi nous nous affirmons souverains, renaîtra d'une putréfaction limpide, en un vivier d'ombres et d'ordures comme l'aurore.
Faut-il rappeler l'histoire du cinéma pour nous épauler ? Bien au contraire, elle ne ferait que ralentir notre élan, nous appesantir sur de fausses questions de l'historicisme ou de l'essentialisme. Tout n'est qu'impureté au cinéma, et c'est en cela que repose sa noblesse, sa grandeur, son Mouvement d'élévation étymologique (cinéma : du grec kinema = Mouvement.)
Désormais, nous sortirons des deux voies consacrées de l'histoire du cinéma qui dominent l'espace artistique de notre époque, puisqu'elle a contaminé la Voie Lumière et la Voie Méliès pour que toutes deux ne puissent plus répondre d'un épanouissement de notre part. À nous de proposer une troisième « mobilité », une troisième face à la fenêtre ouverte sur un monde qui n'est plus celui de Bazin, encore moins celui des sémiologues et des esthéticiens. Car aujourd'hui il est Minuit, cela fait longtemps qu'il est déjà Minuit et l'on croyait que c'était la fin de tout, la fin de la partie, oui elle l'a été, mais nous, nous savons aussi, que s'il est Minuit aujourd'hui, c'est que toute à l'heure, aujourd'hui même, au bout de la plus longue des nuits, sur le bord extérieur de son agonie, il y a notre ciel impur et bâtard, le septième du nom depuis l'architecture, qui s'offre à l'Aurore pour qu'elle se propage et se propulse sur l'horizon impotent; comme une Révolution dans les tons jaunes.
Freddy Daniel-Godineau
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