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Numéro 23 WEB
Comment rendre visible le travail et la parole sur le travail ?
par Johan Chupin [photo de Andrea Paracchini]

Sommaire->Dossier : Travail et Démocratie

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Questions soulevées :

1. De quelles réalités du travail parle-t-on ? S’agit-il de donner à voir la réalité professionnelle, technique du travail, des métiers ? Ou sa dimension humaine, ce que des sociologues appellent l’épreuve du travail ?

2. Pourquoi parle-t-on si peu du travail, réalité invisible qui ne parvient à être un objet de controverse politique ?

3. Quels obstacles et freins à la prise de parole et à la visibilité d’une parole sur le travail ? Inversement, quelles motivations à la prise de parole sur le travail ?

4. Qui est habilité, légitime à parler du travail ? Qui en parle effectivement ? Qui légitime - ou pas - cette prise de parole ?

5. Comment donner la parole sur la question du travail ? Comment rendre visible la parole des travailleurs / la parole sur le travail ? Sous quelles formes susciter et faire apparaître cette parole ?

Eléments du débat :

1. L’épreuve du travail est vécue comme une réalité de l’ordre de la sphère privée, intime, individuelle et non publique et collective ; réalité personnelle et particulière qu’il est difficile de mettre à distance, de déballer publiquement et de collectiviser. Comment passer de l’épreuve individuelle (ressentie comme un échec ou une difficulté personnelle) à un objet de réflexion et d’action collective ?

2. Le travailleur n’a pas forcément l’outillage intellectuel et la distance nécessaires pour analyser les mécanismes dont il est la victime au travail. Pris par la souffrance et par ses difficultés, il n’a pas les moyens de parler, et donc d’analyser les réalités qu’il vit, d’autant que la prise de parole est un processus parfois douloureux et qui prend du temps

3. L’épreuve du travail est placée sur le plan psychologique et non social (ex : la réponse à la souffrance au travail sera d’orienter le travailleur vers un suivi psychologique), les travailleurs culpabilisent face à leurs problèmes et souffrances au travail

4. Le discours sur le travail se réduit souvent à sa dimension économique (la précarité, le pouvoir d’achat, les hausses de salaires...), sans être relié aux autres dimensions du travail (sociale, politique) ni au travail réel (exemple : lors des grèves récentes, la question du travail réel a été complètement occultée, le lien entre mouvements sociaux et réalités du travail a été évacué)

5. Le travailleur peut craindre, en partageant son savoir-faire et ses astuces professionnelles, une forme de dépossession de ses compétences ou de sa créativité

6. La disparition des cadres, lieux et temps collectifs, fruit de la dépersonnalisation, de la précarisation, de la compétition sur les lieux de travail et pour le travail, empêche l’émergence d’une parole et d’une réflexion collectives des travailleurs. Les « cœurs de métier » ont été cassés, la sous-traitance et la précarisation se sont généralisées. Le travailleur ne peut plus parler du travail que dans les cadres du soutien psychologique, de la discussion informelle entre collègues ou de groupes d’expression sous contrôle de l’entreprise

7. La pression de l’entreprise, les méthodes de management gestionnaire, l’exigence de rentabilité (sans les moyens correspondants) écrasent l’individu et l’empêchent de parler du travail. Le rapport de force est défavorable au travailleur

8. L’entreprise n’est pas un lieu de liberté d’expression pour le travailleur. Est-on encore citoyen quand on entre dans son lieu de travail ? L’individu est contrôlé, limité ou interdit d’expression et d’esprit critique, et prié d’adhérer aux valeurs de l’entreprise. Déni de démocratie, conflit entre travail et démocratie quand la parole du travailleur sur son travail n’est pas admis par son entreprise.

9. Les syndicalistes peuvent se sentir démunis sur la question du travail car ils traduisent la parole sur le travail en termes de revendications, ce qui peut les amener à occulter un questionnement proprement politique sur le travail. Faire parler des individus sur le travail sans traduire leur prise de parole en revendications sociales, en plateforme revendicative, peut être déstabilisant pour un syndicaliste. L’institutionnalisation des syndicats, le carriérisme syndical peuvent également les amener à contourner les réalités du terrain et la question politique du travail

10. Qui met en mots de l’épreuve du travail ? A partir de quelles valeurs ? Les chercheurs parlent du travail à partir de critères scientifiques. Les travailleurs militants, dont l’approche est focalisée par les valeurs de leur métier. Les syndicalistes parlent à partir des valeurs professionnelles et syndicalistes qu’ils défendent. Les politiques parlent à partir de l’idéologie qu’ils défendent. Les médias parlent à partir de leur exigence d’information. Les artistes, les créateurs, parlent à partir de leur créativité.

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