Les périphériques vous parlent N° 2
AUTOMNE 1994
p. 4-6 et 8-10
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Éditorial
vers La jeunesse en crise dans la crise
vers Jeunesse de nature et jeunesse de culture
vers La jeunesse est son devenir : une quête

Jeunesse de nature et de culture

Quand les autorités, les institutions, les responsables de tous bords s'adressent à la jeunesse, à qui se réfèrent-ils ? À une nébuleuse qui n'évoque, de soi, qu'une tranche d'âge (plus ou moins, les 15/25 ans).

Cette idée de la jeunesse repose sur une image idéale qui affiche, d'une part, la force et la beauté juvénile, et d'autre part, l'immaturité et l'irresponsabilité. Portrait à deux têtes que médias et opinion publique modèlent selon les modes du moment. Cela donne tantôt une image publicitaire provocante et agressive pour faire saliver les pauvres adultes qui « ont passé l'âge d'en être », tantôt l'évocation d'une classe d'écervelés, d'irresponsables, d'incapables, de paumés, de mous, de résignés et nous en passons.

C'est pourquoi nous proposons, en premier lieu, de saisir la jeunesse à travers cette question : que peut être la jeunesse en dehors des critères d'âge ?


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La jeunesse en crise dans la crise
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La jeunesse en crise dans la crise

LUTTE DES JEUNES ? CONTRE QUI ?

La lutte contre le CIP est apparue encore une fois aux yeux de l'opinion comme une lutte des jeunes. Mais lutte des jeunes contre qui ? Contre les vieux ? Disons plus gentiment « les aînés », malgré le fait que, « naturellement », de soi, le mot vieux s'oppose au mot jeune. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette « entité dénommée jeunesse » ne va pas « naturellement de soi ». Ses combats, sa lutte, non plus.

Précisons, en premier lieu, que ce texte ne vise nullement à pointer du doigt les ennemis de la jeunesse, cela laisserait trop entendre qu'ils se trouvent du coté des gouvernants, des dirigeants et autres responsables. Bien sûr, la solution alors s'avérerait simple : il suffirait de les remplacer par de nouveaux élus afin que tout retourne, « en avant comme avant », dans le meilleur des mondes. Le fait est que la solution n'est pas simple.

LA CRISE. SES CONSÉQUENCES SUR LA JEUNESSE

Il nous semble que la situation, aujourd'hui, impose de commencer par circonscrire le cadre de cette « lutte de la jeunesse », par exposer les contextes dans lesquels elle se déroule et les circonstances qui la motivent. C'est d'abord parce qu'il y a crise que l'idée de sacrifier une génération s'impose à ceux qui n'arrivent pas à la dénouer. Plus que d'une idée, d'ailleurs, il s'agit d'un constat, celui d'un « laisser-aller général » devant l'incapacité de la génération au pouvoir à affronter la crise.

Aucune image de la jeunesse ne peut représenter la jeunesse. La jeunesse est son hors cadre. C'est là que nous irons la chercher.

Mais nous ne mesurerons pas la jeunesse au temps qui passe. Le temps qui passe efface ceux qui se laissent accrocher à une “image idéale”. Ils restent sur place, rivés à l'idée qu'ils s'en font ou ils restent devant leur télé à regarder leur vie s'éloigner.

Le temps est toujours jeune car il va de l'avant et laisse sa vieillesse derrière lui. Pour ne pas vieillir sur place, allons avec le temps qui passe. La jeunesse n'est pas donnée, de nature. La jeunesse s'invente. Faisons en sorte qu'elle soit notre culture, une culture à faire.

Pour une trop grande partie des gens « en place », ceux qui ont un boulot, l'essentiel avant tout est de conserver « les choses en l'état », on verra bien après ! Quand on parle de changement - et on ne manque certes pas d'en parler - ce n'est, le plus souvent, que pour évoquer les temps bénis de la croissance. Changer ne signifie, alors, qu'un retour nostalgique aux temps des « trente glorieuses » de l'après-guerre qui ont vu un développement prodigieux de l'économie des pays occidentaux. Mais c'est justement le développement industriel et social de ces trente années qui a amené la longue crise (voir le chapitre La crise ou la longue agonie du taylorisme) d'aujourd'hui. Nous ne sortirons certainement pas de cette crise en « restaurant le passé ». Il n'y pas de retour possible. Par contre, le déclin, la décadence, l'effondrement des civilisations, cela existe bien. Sous peine de désastre, « l'irréversibilité du temps » nous oblige à trouver un « autre » mode de croissance, un nouveau départ. Plus encore, sans doute, s'impose la redéfinition même du mot croissance.

La résistance des mentalités au changement, l'égoïsme forcené de ceux qui ont encore un « poste de travail convenable » et qui n'ont d'autre objectif que de le conserver, alimentent les aigreurs anti-jeunes : pour eux, les jeunes, ne sont que ceux qui veulent tout chambouler. Terrorisés par ces nouveaux arrivants, par les étrangers, par les « autres », les ennemis du changement, partout, s'enracinent dans leurs peurs, dans leurs angoisses, leurs médiocrités, dans un désir morbide de tenir encore un jour de plus dans un « cadre de vie » inchangé, seul garant susceptible d'assurer la stabilité.

Dans ce monde bouleversé par les changements continuels, partout, sur tous les plans, dans tous les domaines, les conflits ne pourront que s'exacerber, entre ceux qui s'obstinent à vouloir arrêter le cours des événements et maintenir un « étant-là » - parce que cet « étant-là » représente leur intérêt immédiat, du moins le croient-ils - et ceux qui veulent aller avec les temps, faire du monde en marche leur temps. Aujourd'hui, il faut choisir son temps, plus que son camp.

Depuis 68, ce qu'on appelle la jeunesse (le mot se réfère, ici, à la classe d'âge) a livré quelques batailles, elle en a même gagné certaines, mais jusqu'à ce jour, elle a perdu sa guerre. Elle a perdu sa guerre parce qu'elle n'a pas su, à travers un projet et des objectifs, donner au terme « jeune » une définition (une « destination »), et ceci au plan social, culturel, politique.

Bien entendu une telle affirmation engage à nous expliquer. Nous le ferons un peu plus loin, mais auparavant, nous voudrions nous arrêter un court instant sur ce mot guerre que nous venons d'avancer. Il n'est pas simplement une figure de rhétorique, il illustre pour nous une réalité sinistre, un danger qui pèse déjà sur le présent, nous barrant le futur.

LA JEUNESSE SACRIFIÉE DANS LA GUERRE ÉCONOMIQUE MONDIALE

« La guerre, c'est la politique qui se poursuit par d'autres moyens », disait Clausewitz. Il y a les vraies guerres, celles qui voient s'opposer des ennemis qui privilégient l'usage des armes pour faire balancer de leur côté le rapport de forces. Mais la guerre prend bien d'autres visages, il y en a eu de toutes sortes : « la drôle de guerre », la guerre froide, les guerres révolutionnaires, les guerres idéologiques, les guerres souterraines, les guerres du crime. Toutes, plus ou moins, consistent à s'assurer des positions favorables au niveau économique : conquête des marchés, des zones d'influences, des richesses. Les puissants voulant constamment s'assurer des positions hégémoniques, les plus pauvres essayant de résister avec leurs moyens.

Notre époque voit une guerre économique pure et dure s'installer sur l'ensemble du globe. Une guerre qui use de violences sans doute moins apparentes, mais tout aussi barbares : violences larvées, contenues. Nous sommes arrivés à ce point où une mise au pas des jeunes générations fait partie de la stratégie de cette guerre économique de longue durée. Cette sujétion des jeunes aux impératifs de la guerre économique internationale se dévoile en France, en certaines occasions. Le plus souvent, il faut bien le constater, à la suite de bévues des gouvernants.

Nous sommes convaincus qu'une communauté humaine, quel que soit l'âge de chacun, si elle veut avoir un devenir, c'est-à-dire « une vie à vivre au présent » et non pas « un espace du temps perdu à attendre les temps meilleurs », doit dégager un projet, une stratégie, une politique pour répondre aux soi-disant sacrifices que les règles économiques mondiales imposent. D'autant plus que ces règles sont en passe de devenir elles-mêmes obsolètes et que s'y soumettre équivaut à prolonger l'agonie d'un système condamné par l'évolution même des temps.

Pas davantage, peut-on laisser sacrifier une génération sans déséquilibrer la nation elle-même. C'est son futur et le futur de la nation qu'on sacrifie par là. Aussi, la jeunesse mise en demeure de se plier à la rigueur des temps (génération sacrifiée) n'aura-t-elle qu'une seule alternative : obéir ou se battre pour changer le cours des événements. À elle de susciter « l'événement » capable de changer les choses, ou pas.

Notons encore, qu il y a eu, tout au long de la deuxième partie de ce siècle, de nombreuses guerres de libération. La plupart traduisent la marche du temps et une redistribution des cartes, en somme, de nouvelles règles de jeu pour un monde différent. On sent bien que depuis 68, à travers des mouvements de rue spontanés, des explosions conjoncturelles dans les banlieues, à l'université, une nouvelle lutte de libération s'est amorcée : celle de la jeunesse. Mais de quel type de libération s'agit-il ?


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Jeunesse de nature et jeunesse de culture
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Jeunesse de nature et jeunesse de culture

LA JEUNESSE, UN PRÉSENT QUI AIT UN AVENIR

La jeunesse qui se rapporte à la classe d'âge est cette jeunesse « à tout asservie » dont parlait Rimbaud. Elle n'a servi qu'à asservir les uns contre les autres. La jeunesse nazie est un bel exemple de cette jeunesse d'âge « à tout asservie », prête à servir le pire.

Commençons donc par nous demander si la jeunesse ne serait pas à faire, à définir ? Elle s'inventerait seulement à travers son style, ses modes propres de penser, de voir, d'être, de comprendre, d'agir et elle durerait le temps qu'elle saurait s'inventer, tout le long de sa vie, pourquoi pas, ce peut être là un objectif.

Encore une fois, lors des derniers événements en rapport avec le CIP, les médias et l'opinion (mais n'est-ce pas la même chose ?) ont ressorti sur les jeunes et la jeunesse les mêmes platitudes. Encore une fois la génération concernée par le CIP s'est laissé épingler dans la catégorie de la classe d'âge. Si bien que l'idée perdure que la jeunesse est un moment de la vie, un passage, en somme, pour atteindre l'âge adulte. Cette image est avilissante, elle laisse entendre que la jeunesse se mesure uniquement à l'âge. Par là, la jeunesse n'a guère d'avenir, son avenir « naturel » étant l'âge adulte. Dans cette optique, la jeunesse serait simplement une courte période à traverser entre l'adolescence et l'âge adulte, une phase de la vie pour se préparer à... à quoi d'ailleurs ? À la vie, qui commence « naturellement » avec l'âge adulte.

Pour échapper à cette « Vérité Naturelle », définir la « jeunesse » autrement se révèle une nécessité incontournable. Pour ce faire, il faut sortir, bien sûr, de ce « naturel ».

La jeunesse, donc, nous essaierons de la définir, non plus « de nature », mais « de culture ». Dans un de ses sens, le mot « nature » se rapporte à tout ce qui est inné. Il s'oppose par là au terme « culture » : tout ce qui est acquis et s'acquiert. De longue date on oppose nature et culture. Dans le cadre de ce texte, nous donnerons ce sens précis au mot « culture » : tout ce qui est acquis et produit par l'homme dans le cadre d'une société donnée.

« De nature », nous dirons que la jeunesse se réfère à la tranche d'âge des 15/25 ans (plus ou moins) et à toutes les évidences qu'on lui impute. Par opposition, nous dirons que « de culture » la jeunesse devra se saisir à travers de tout autres critères. Lesquels ? C'est ce qui reste à établir, chaque fois, à chaque étape d'une civilisation, dans un cadre culturel déterminé.

En ce qui nous concerne, nous avancerons que « de culture », la jeunesse n'est pas donnée. Elle n'est donc pas un privilège de l'âge, elle est inhérente au mouvement de la culture, elle reste à acquérir. Plus encore - c'est là une proposition - : nous dirons qu'elle està faire, qu'elle est mouvement. Mouvement de l'homme vers son accomplissement, son avenir.

Beaucoup - trop - acceptent de ne pas avoir de jeunesse. Beaucoup - trop - quel que soit leur âge, n'auront jamais de jeunesse. Ils sont nés vieux, ou plutôt, on a fait d'eux des vieux de naissance. Il y a là un scandale, crions-le très haut.

Personne n'est jamais trop vieux pour trouver et vivre sa jeunesse, “sa manière d'être jeune” : “Aurais-je 90 ans et me resterait-il trois jours à vivre, que j'aurais encore le choix de les vivre en jeune ou en vieux”.

Bien sûr, cette position d'une jeunesse « de culture » sera très difficile à tenir. À quelques exceptions près (poètes ou philosophes), la jeunesse est pratiquement toujours identifiée « de nature », nous l'avons déjà noté, réduite à n'être qu'un passage, un moment de la vie. Cette « vision naturelle » engage à concevoir la vie sous la forme continue des années qui s'entassent, de l'enfance à l'adolescence, de la jeunesse à l'âge adulte, au troisième âge, pour finir au quatrième, du moins pour ceux qui y parviendront. Certes, à travers cette interprétation nous disposons d'un moyen de mesurer la vie, mais il est plat, excessivement réducteur et cloisonnant. Il n'implique ni les mouvements universels de l'homme à travers les civilisations, ni les sciences, ni l'art, ni l'Histoire. Il nourrit l'acharnement identitaire qui persiste à vouloir expliquer l'homme à travers des catégories immuables : sexe, âge, profession, religion, race, nationalité, situation familiale, etc.. Opter pour « une jeunesse de culture », n'ira « naturellement pas » de soi. Les résistances seront sans doute énormes. C'est un combat qui s'engage par là.

Avec la notion d'une jeunesse « de culture », nous éviterons en premier lieu, de mesurer chacun à la classe d'âge, de l'assimiler à « un moment de sa vie ». Nous essaierons, au contraire, de le percevoir à travers des concepts se rapportant à « la qualité de sa vie », c'est-à-dire à travers la qualité spécifique de tout être humain : manière à lui d'exprimer sa différence. Bien sûr, cette expression de la qualité se rapporte à une activité, certainement pas à une image de référence, à une image idéale. Non, soulignons-le bien, à une activité, (comportement, manière d'être et de faire) que nous qualifierons de jeune dans la mesure où elle n'oubliera pas de prendre en compte son devenir. Ainsi, sommes-nous tout à fait autorisés d'avancer que de culture « chaque âge a sa jeunesse » ou ne l'a pas, bien sûr, cela va dépendre des positions prises et de l'activité menée.

Dans la situation de crise actuelle, il reste maintenant à se demander : « de culture », qu'est-ce que la jeunesse, aujourd'hui ? et à la suite : quel est son devenir ? On ne pourra certainement pas se contenter d'une réponse, genre : « la jeunesse, c'est ceci ou c'est cela pour accomplir, demain, ceci ou cela ». Il s'agit en premier lieu d'élaborer des propositions concrètes, d'engager une démarche, de concevoir un dessein. Il faut un projet jeunesse.


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La jeunesse est son devenir : une quête

La jeunesse est son devenir : une quête

Ce projet, nous l'envisagerons comme une quête. Une quête pourquoi pas présentée à travers cette proposition : « la jeunesse, cherchons-la en construisant un présent qui ait un avenir ». Au départ, la parole construire ne pourra signifier que lutte, lutte pour conquérir un espace social, culturel à cette problématique de la jeunesse. C'est à cette quête que nous engageons. Tout est à faire, tout est à trouver et à inventer. Tous et chacun. Voilà comment se présente pour nous le projet : « OBJECTIF JEUNESSE ».

Avec ce projet, nous soutiendrons que la jeunesse est son devenir, mais que le devenir ne peut se saisir que dans le présent de sa vie, dans un présent que l'on fait en y préparant à chaque pas son avenir. La jeunesse n'est pas donnée. Elle est une conquête, une conquête permanente.

Précisons encore que, hélas !, on peut à tout âge passer à côté de sa jeunesse. Mais que ceci ne nous désole pas trop. Réciproquement, pourra-t-on se dire : à tout âge on peut vivre sa jeunesse. Notre vie c'est ce qui est devant nous, ce qui est à faire. En somme la jeunesse est un projet. Le projet d'être jeune en vivant pleinement au présent la recherche de sa jeunesse : son devenir.

Ce projet, nous souhaitons le réaliser avec tous ceux qui, à chaque étape de leur vie, considèrent que leur dessein est toujours devant eux, avec tous ceux qui se déterminent à partir d'un devenir à vivre au présent, avec tous ceux qui obstinément veulent donner à ce beau mot de « jeunesse », « le plus beau mot de la langue », disait Henry JAMES, un sens, un sens qui « dégage une culture ». Avec tous ceux-là, nous voulons faire mouvement.


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 3 juillet 03 par TMTM
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