AUTOMNE 1994 p. 35-37 |
Université : des lieux de transit aux lieux de vie | |
Arguments et propositions | |
Cadre de vie, espace de travail |
En cette période de “chômage structurel”, la recherche exclusive de l'emploi occulte complètement le choix du travail. L'obsession par ailleurs des mentalités à s'accrocher à une sécurité de l'emploi perdue nourrit une terrible crise sociale. Il va bien falloir devenir autre chose que des salariés si nos “employeurs” ne peuvent plus nous pourvoir en emplois. Dans le cadre des débats actuels traitant de la place du travail dans la société, la question de sa “valeur” pour l'homme ne peut plus être négligée.
Cette question du travail, aujourd'hui, complètement suspendue à celle de la pénurie d'emplois, ne fait que traduire la lutte de plus en plus difficile pour se faire une place sur le marché du travail. Parallèlement, dans un climat de précarité salariale généralisée, la subordination du choix du travail aux impératifs économiques du moment font que les voies de sauvetage de l'insertion et les aubaines des petits boulots occupent tout le champ du devenir humain.
TRAVAIL :“Ce qui est susceptible d'introduire une différence significative dans le champ du savoir, au prix d'une certaine peine, avec l'éventuelle récompense d'un certain plaisir, c'est-à-dire d'un accès à une autre figure de la vérité”. |
Mieux vaut bénéficier d'un emploi sous-payé que d'être au chômage. C'est par ce principe du moindre mal que l'on a voulu justifier l'application d'un CIP. Ce n'était là qu'un sophisme, dissimulant une autre logique : faire accepter à une génération le sacrifice de son propre avenir et sa relégation dans les marges d'une sous-catégorie de travailleurs. À les entendre, s'insérer revient presque à « taper l'incruste » dans le premier circuit de production venu. Ce n'est certainement pas un avenir, ce n'est même pas un présent. Pas question de se faire une place dans le marché du travail en l'état. Il n'y pas un économiste, aujourd'hui, qui n'affirme que « quelle que soit la croissance économique elle ne produira pas d'emplois ».
Les étymologies du mot travail se révèlent assez glaçantes. L'une d'entre elles provient du latin tripaliere qui signifie torturer avec le tripalium. Dans la mythologie grecque, les travaux d'Héraklès relatent l'expiation d'une faute, un châtiment divin. Dans la Bible le commandement : « tu enfanteras dans la douleur », couronne le « travail de gestation » de la femme ; sans oublier le précepte : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».
Bien évidemment, ces conceptions du travail qui dénotent la torture, la punition et la douleur, sont de toute évidence en contrepoint des débats « socio-idéologiques » actuels. Au lendemain des luttes innombrables contre la société d'exploitation, les problématiques relatives à l'aliénation du travailleur, continuent de structurer les revendications du collectif social, non plus sous une forme consciente : la lutte des classes, mais par une sorte de conditionnement culturel, la plupart du temps inconscient.
L'EMPLOYÉ INDISPENSABLE On faisait à Monsieur K. l'éloge d'un employé qui comptait d'assez nombreuses années de service, on disait de lui, un si bon employé, qu'il était indispensable. “Comment cela, indispensable ?” demanda Monsieur K. irrité. “Le service ne marcherait pas sans lui ?” dit Monsieur K. “Il a eu assez de temps pour organiser son service de façon à ne pas être indispensable. À quoi s'emploie-t-il en réalité ? Je vais vous le dire : à faire du chantage !” (tiré de Histoires d'Almanach, Bertolt Brecht) |
La « damnation » qu'est le travail s'exprime par cet ordinaire : activité visant à assurer la subsistance en référence quasi-exclusive à l'emploi salarié. Le salarié est celui qui vend sa force de travail en contrepartie des compensations de la consommation. Il rythme sa vie au rythme du marché. Il structure par là sa culture, ses modes de faire, de penser.
Cette structuration des mentalités qui a fini par cloisonner espace du travail, espace de la vie, familial et des loisirs, est si prégnante, que lorsque l'on débat, par exemple, du temps libre et de la diminution du temps de travail, c'est presque toujours en référence implicite à un temps quasi carcéral de production. De ce fait l'exigence d'une qualité de vie dans un cadre productif ne traduira le plus souvent qu'un souci très subjectif d'atténuer le stress de la vie professionnelle ou la convoitise d'un gain de « temps mort » autorisant un repliement sur la vie privée.
Alors que la sécurité de l'emploi, qui ancrait la stabilité de l'existence « salariée », est en train d'être ébranlée, le travail exprimera de moins en moins cet effort consenti par chacun pour s'assurer une place à vie dans la société.
Il va bien falloir se résoudre à aborder autrement la question touchant, plus qu'au statut, à la valeur du travail et à l'organisation de la vie. Il faudra bien aussi apprendre à se libérer des conditionnements de la mentalité de salarié, parce qu'à vouloir demeurer des salariés, des employés, nous aurons de moins en moins d'avenir.
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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 3 juillet 03 par TMTM
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