AUTOMNE 1994 p. 40-41 |
Exclus, exclos, esclaves | |
Arguments et propositions | |
Et si l'art avait pour objectif... |
Faire du droit à l'expression un droit démocratique, c'est permettre à tous ceux qui font la culture de s'exprimer, Aujourd'hui les bureaucraties s'avèrent incapables de répondre à l'urgence de vivre au présent, Le marché culturel, lui, s'alignant sur le marché tout court ne fait que prôner la consommation du produit et certainement pas son « usage ». L'émergence d'un autre type de culture, une « culture en mouvement », oblige à nous défaire de toutes les idées reçues que les expressions culturelles et artistiques véhiculent.
Bien sûr « créer », « création », « créateur », « créativité », sont des mots désespérants, des mots qui véhiculent toutes sortes de fadaises, débouchent sur toutes les mystifications. C'est d'un certain nombre de confusions rebutantes dont il nous faut sortir. Surchargés de sens contradictoires, de vouloir-dire exhaustifs, contaminés d'« images idéales », il faut aujourd'hui transformer ces mots en concepts opératoires, les relativiser dans un espace où ils peuvent être bien définis.
Nous ne considérerons pas l'art comme quelque chose au-dessus de la vie, le privilège de l'Artiste grand A, l'illumination de certains élus, occasion d'admiration et de contemplation, glorification de la Création grand C. Non, l'activité créatrice est trop souvent occultée par la fétichisation des œuvres et des produits culturels qui évacue tout processus de connaissance. « Voir, mais ne pas toucher ! » ne peut être pour nous un objectif de l'art. Nous condamnons l'art voué à la consommation. Ce type d'art ne nous fait pas vivre. Il n'appelle pas à l'usage artistique, à l'activité, à une pratique.
Découvrons plutôt ce qui fait vie, mouvement dans l'art, ce qui fait bouger et ne recouvrons pas de commentaires doctes l'élan que représente le geste artistique. Si, sans pratique, tout enseignement reste lettre morte, il en est de même pour l'art. Ce qui compte est l'usage que l'on fait de l'art dans les actes quotidiens; ce qu'il suscitera à tous les plans de notre vie.
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Et si l'art avait pour objectif... |
Demain est à tout le monde ! Il doit être fait par tous et pour tous. Comme la poésie ! Oui, la poésie quand elle s'incarne dans la vie, dans le quotidien. Et si on redonnait au mot poésie sa signification de production, du grec poien ?
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Ainsi quand on parle d'art nous proposons de le considérer toujours dans ses implications avec la société, la politique, la culture, la communication. Un art qui serait impliqué dans toutes les activités humaines, une démarche continue. Activité artistique qui essayerait de sortir des préjugés imposés par l'opinion dominante et les idées reçues qu'elle véhicule, singularité générant ses référents. Activité qui nous pousserait à forger des critères nouveaux, à voir et comprendre autrement, à nous positionner, à élargir les points de vue. Acte artistique qui donnerait sens à la vie, à notre devenir, qui nous arracherait au temps qui passe et que rien ne peut changer, moteur de la vie qui nous appellerait à agir au présent et à agir pour comprendre.
Nous pensons que la société telle qu'elle est n'est pas assez démocratique. En particulier, il est impossible de s'exprimer librement « en temps réel » à travers les structures culturelles existantes, qui nous condamnent à un type de culture (en différé), privilégiant la « programmation » des produits culturels au détriment de l'activité culturelle elle-même. S'exprimer librement pour nous c'est la vie : la liberté de vivre au présent, non d'attendre son tour. Nous voulons nous exprimer nous-mêmes, pas faire la culture que les institutions veulent bien que l'on fasse ou que les jugements sommaires des bureaux prescrivent à partir de « dossiers sélectifs ». Nous prenons parti pour une culture à faire au présent. C'est pourquoi nous choisirons résolument de nous exprimer nous-mêmes, faisant par là notre culture, sans attendre que l'on nous en donne les moyens. D'autre part, nous nous battrons pour nous assurer les moyens de la faire vivre. Au même titre que tous les citoyens, nous avons des droits, quoiqu'en disent les bureaucrates.
Mais voyons de plus près ce qui nous a amenés à prendre une telle position.
Les dossiers qu'exigent les multiples instances institutionnelles de soutien à la création, la constitution de commissions innombrables qui doivent donner leur agrément pour qu'un projet « puisse avancer », permettent de moins en moins au vivant de s'exprimer. Les démarches pour la réalisation d'œuvres culturelles sont de plus en plus longues et astreignantes. Le plus souvent elles ne concernent en rien la nature du projet, mais les conditions matérielles de sa réalisation, le plan de financement, surtout. Un projet demande tellement de temps pour matérialiser ses exigences aux yeux des institutions, que les enthousiasmes se dissolvent, les énergies s'usent, désamorçant et neutralisant le subversif qui leur donnait vie.
Quand l'acte politique même devient l'acte poétique par excellence, ce moment où l'acte politique et l'acte poétique se conjuguent dans le verbe vivre, ce moment-là est l'acte de jeunesse pur. Il est rare. Trop rare.
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Depuis une décennie, on peut constater que les institutions, les médias et les milieux dits culturels emploient le mot Création pour désigner les œuvres, ce fameux « produit fini »: l'œuvre, détournant l'attention de l'activité artistique elle-même. Ils occultent ainsi l'espace où « ça fait sens », l'espace de la réalité artistique. En fait, il n'y a pas d'espace public de la réalité artistique. Le public, dans son ensemble, ignore les manifestations du processus de créativité qui amène au résultat artistique. Par là, ne se manifeste plus l'expression vivante de la culture en train de se faire, mais sa forme désincarnée, son image glacée. Les habitués des couloirs institutionnels deviennent peu à peu les maîtres des places et des lieux où « mijote » la Culture, une culture préétablie, en différé. Une culture ? pardon, son spectacle.
L'État gaspille des sommes considérables pour maintenir debout ce « monument dénommé culture », une culture-image qui n'a d'autre avenir que de s'afficher à l'admiration ou à l'indifférence publiques. La programmation de produits culturels, serait-elle de qualité, ne débouche pas à l'heure actuelle sur une politique qui puisse soutenir le vaste mouvement qui ébranle notre temps, elle n'épouse pas l'urgence de vivre l'époque. On ne propose pas de « penser la culture », encore moins d'y chercher ses formes et son contenu, tout au plus peut-on parler de lieux où « s'exposent », un instant, des spectacles culturels ou des manifestations-spectacles.
Pourquoi ne pas poser simplement cette question naïve : l'État, les institutions, les organismes qui en dépendent ne pourraient-ils pas, par exemple, consacrer une partie du budget réservé à la “Création”, à des projets qui se fondent sur le vivant, le présent, sur la culture en mouvement, celle “en train de se faire” ? Et, au cas où la question ne paraîtrait pas aussi naïve que cela, ne pourrait-on pas concéder un certain nombre de lieux, d'espaces, de maisons de la culture, de théâtres, à l'activité culturelle quand elle se donne pour objectif de “faire culture” ? N'est-il pas possible pour ces projets de créer une forme d'accompagnement institutionnel, qui serait lui-même un geste culturel et social majeur pour accompagner les changements qui bouleversent l'époque ? |
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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 3 juillet 03 par TMTM
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