été 1996 p. 22-23 |
Citoyen français et citoyen en France | |
une loi bien menaçante | |
sont-ils humains ? | |
de la justice à la violence gratuite |
Des individus sont traqués, en toute légalité, comme des criminels de droit commun pour la seule raison qu'ils sont demandeurs d'asile, qu'ils ne sont pas nés français en France. Les dernières lois concernant l'immigration n'y sont pas étrangères : elles participent d'une stratégie d'exclusion qui, en fait, ne menace pas seulement les immigrés.
Chaque jour apporte son lot de bombardements crapuleux, de licenciements en chaîne, de corruption massive, d'accords rompus « à la surprise générale » ou d'espoirs... reportés jusqu'à un lendemain, qui chante souvent très faux. Il y a donc de quoi réagir face à tous ces problèmes qui ne font que s'accumuler à nos portes, d'autant plus que l'avenir proche pourrait être encore plus chaotique, tant que nous continuerons à subir une époque si déroutante.
Par contre, pour certains, tout semble aller pour le mieux, cette crise ne durera pas, elle n'est que conjoncturelle. Ces diseurs de bonne aventure se terrent dans des tours d'ivoire difficilement acceptables dans de véritables démocraties. Par exemple, les banques centrales européennes, dont la Banque de France, sont pour la plupart totalement indépendantes, c'est-à-dire qu'elles ne dépendent d'aucune élection et n'ont à répondre de leurs actions devant aucun gouvernement et donc aucun peuple, alors qu'elles ont la lourde charge de fixer le cours de la monnaie et les taux d'intérêt et influent donc directement sur l'économie des pays européens.
Les experts de la « gestion » du système mondial, tous ceux qui, des banquiers aux PDG en passant par des sociologues, monopolisent les temps de parole et les prises de décision, se permettent d'affirmer qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'à attendre, alors que ce système connaît des pannes et permet que l'humanité se divise de plus en plus ouvertement en vainqueurs et perdants d'une guerre dont on tait les pertes humaines. Doit-on vraiment continuer à les laisser faire ? À force de rester indifférents devant ces personnes qui font l'opinion publique, nous faisons le jeu des plus intolérants, de ces bâtisseurs de murs qui nous entraînent vers davantage de guerres.
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Un exemple : la France, réputée pour être une terre d'asile, ne semble plus autant capable d'accepter de nouveaux Français. Plusieurs politiques en matière d'immigration ont amené de plus en plus de minorités à affirmer : « je n'y ai pas trouvé ma place », et plus grave, « je ne l'aurai pas ».
Toutes les conditions sont réunies pour que ce pays devienne une terre d'écueils pour une bonne partie de ceux qui voudraient y habiter. La loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France - c'est-à-dire l'une des « lois Pasqua » - avait pour objectif de « lutter contre l'immigration irrégulière, de maîtriser les flux normaux d'immigration et de défendre les valeurs républicaines », objectif qui s'inscrit complètement dans la continuité de toutes les politiques menées depuis 1980. Ainsi, parce qu'il semblerait très « facile » de vivre clandestinement dans l'Hexagone - ce qui le rendrait prétendument plus qu'attrayant - la loi se devait de rendre plus difficile l'existence clandestine en luttant contre les détournements de procédure, en améliorant l'exécution des décisions administratives d'éloignement et en renforçant la lutte contre l'immigration et le travail clandestins.
Le paradoxe veut que le citoyen finisse par oublier “l'enfer, c'est l'autre” dès lors qu'il s'agit de déléguer son pouvoir “à l'autre”, dès qu'il s'agit d'engager l'autre à se battre pour lui, à penser et à faire de la politique à sa place. |
C'est le séjour, plus que l'entrée sur le territoire, que la loi n° 93-1027 a voulu modifier en profondeur. Le législateur a voulu à la fois assurer le contrôle des étrangers qui viennent séjourner en France, et lutter contre le séjour irrégulier. Pour contrôler l'immigration plus efficacement, il a modifié les conditions d'attribution des titres de séjour et réglementé le droit au regroupement familial. Dans une circulaire du Ministère de l'Intérieur « relative à la présentation de la loi n° 93-1027» et datée du 30 août 1993, le Ministre de l'époque soulignait qu'il convenait de « promouvoir un statut qui soit conforme à nos valeurs et à nos exigences morales et sociales. La loi est en effet le lieu où se rencontrent les choix de société et l'affirmation des Droits de l'Homme ».
Ce sont ces valeurs et ces choix de société qui sont contestables car ils sont supposés être ceux de tous les Français ; nous verrons qu'ils ne font que traduire le mépris et la peur comme solutions politiques et qu'ils ne satisfont que « les citoyens français » qui préfèrent se réfugier dans la nostalgie d'un passé ostraciste (voir l'article de Marc'O).
Et outre que « les modalités d'application à la réglementation manifestent une liberté croissante à l'égard du droit » [La Semaine Juridique (JCP), Éd. n° 1 / Doctrine 3728/1993], une des nouveautés les plus frappantes a résidé dans le fait que la condition d'absence de menace pour l'ordre public a été rétablie pour la délivrance de tous les titres de séjour (à la seule exception de la carte de résident accordée aux personnes remplissant les conditions d'acquisition de la nationalité française). Ce qui signifie que la « menace à l'ordre public » empêchant la délivrance d'un titre de séjour temporaire, le demandeur peut être reconduit à la frontière. Pour être clair, il s'agit bien ici d'une simple menace à l'ordre public (il n'est pas nécessaire ni suffisant que l'étranger ait fait l'objet de condamnations pénales, la menace faisant appel à bien plus de subjectivité) et non à un délit grave permettant l'expulsion.
Cependant, il a fallu écarter de cet éventuel éloignement les étrangers ne pouvant faire l'objet d'une expulsion ou d'une reconduite à la frontière, par exemple, « les parents d'enfants français vivant en France, les conjoints de Français mariés depuis plus d'un an ou encore les personnes justifiant d'une résidence en France de plus de 15 ans ». (Le Monde du 3 avril 1996)
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Ces derniers risquaient dès lors, de se trouver dans une délicate situation, ne pouvant dans certains cas ni obtenir un titre de séjour, ni être éloignés du territoire. Et, du fait de leur situation irrégulière, ils ne pourraient donc ni travailler, ni bénéficier des avantages sociaux. On savait donc, dès 1993, que cette loi conduirait des personnes dans une impasse.
Photo : Tessa Polak |
Ce qui s'est en quelque sorte confirmé lors de « la rafle du Gymnase Japy » qui a eu lieu fin mars 1996. Des familles qui comprenaient des parents d'enfants français, après s'être réfugiées dans l'église Saint-Ambroise dans le 11ème arrondissement de Paris, et après avoir été renvoyées non loin de là au Gymnase Japy, ont été à nouveau expulsées pour être amenées d'abord à la Cartoucherie de Vincennes, puis à un « entrepôt » fourni dans un état pitoyable, dans le 18ème arrondissement.
La loi donnant toute liberté pour qualifier les menaces que représentaient ces familles, des décisions de justice plus que contradictoires - et plus que politiques - ont permis tantôt la libération de personnes arrêtées dès leur sortie de l'église, pour vice de forme, tantôt l'expulsion rapide de quelques-uns, notamment ceux qui n'étaient pas parents d'enfants nés en France. Tout cela pour dire que la situation des immigrés en France, ceux qui par le passé ont fait ce pays et qui, à l'avenir, continueront à le faire évoluer, ne fait qu'empirer, et quand il devient si évident que la loi fait le jeu des plus réactionnaires, alors il y a de quoi affirmer que nous allons tous nous trouver rapidement dans une délicate situation.
Si l'on fait le bilan de tous ces « traitements », on peut noter que la loi elle-même devient une menace grave pour les demandeurs d'asile qui, loin de se résigner, se terrent. Dans certaines régions, on n'a pas le droit de leur apprendre le français et ils n'obtiennent tous les papiers qu'après au moins 6 mois de « travail administratif », c'est-à-dire qu'ils restent au moins 6 mois sans aucun droit. Seulement 10 % des demandes d'asile ont été acceptées dans les 6 premiers mois de 1995 (23 % pour 1994 ; la fin de 1995 avec l'instauration du plan Vigipirate a dû encore faire diminuer ces pourcentages) et l'une des priorités gouvernementales a été de doubler les expulsions qui étaient en gros de 12 000 en 1994, pour atteindre des sommets grâce bien sûr à la « méthode des charters ». (Arte / Trnnsit : Le droit d'asile en Europe, février 1996)
Avec les accords de Schengen, l'Europe elle-même n'est pas en reste : les demandeurs d'asile sont traités comme des criminels, qui se doivent d'être classés avec photos et empreintes à l'appui. Ils sont donc avant même d'avoir fait leur demande, « une menace à l'ordre public ».
Pourtant, ces mesures, qui sont autant d'incitations à l'illégalité, ne font en fait qu'encourager toute une main d'œuvre sous-payée par des entreprises très satisfaites de trouver de la chair pas chère (c'est comme si l'on réussissait à délocaliser en France), proie facile pour des nationalismes avides de boucs émissaires. C'est à se demander ce que prévoient les prochaines politiques anti-immigration : la bête risque d'être encore plus immonde qu'on ne peut l'imaginer, surtout que comme d'habitude les véritables ambitions ne sont jamais clairement énoncées. Un seul mot, plein d'amertume : la honte de voir que ces étrangers ne sont en fait utilisés que comme argument électoral. Et alors que les lois Pasqua ne sont pas toutes entièrement appliquées - on n'est pas au bout de nos surprises - on parle déjà de durcissement de la législation pour les étrangers. Une Commission d'enquête parlementaire sur l'immigration clandestine a rendu publiques ces propositions le 16 avril 1996. Il est à noter que des arguments d'un autre âge sont apparus ici et là. Ainsi, l'indignation d'un membre de cette Commission est causée par « les clandestins qui se font prescrire des cures thermales ». (Libération du 17 avril 1996) Il est vrai que Vichy se doit d'être purifiée... comme en 40 !
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Pourtant, on en est sûr et on ne cessera de le répéter : la loi, à elle seule, ne permettra pas d'apporter une solution à toutes ces détresses, d'autres types d'intervention sont nécessaires. Éviter, notamment, de soutenir des régimes autoritaires qui, par une répression ininterrompue, font fuir leurs nationaux. D'un pays à l'autre, ces derniers doivent bien se demander où trouver la concrétisation d'une déclaration des Droits de l'Homme, partout toujours mieux bafouée.
Lorsque l'on parle des Africains en France, par exemple, on ne dit pas assez que le continent africain dans son ensemble n'a peut-être jamais connu une telle profusion de situations explosives. Les dictatures militaires (Nigéria, Zaïre, Guinée Équatoriale...) se mêlent aux guerres civiles (Sierra Leone, Libéria, Soudan, Algérie, Rwanda, Burundi, Somalie...) qui amènent parfois à des génocides (Rwanda...). Tout cela a lieu dans des systèmes largement esclavagistes et avec le soutien bien sûr de grandes compagnies occidentales, qui y trouvent leur compte notamment sur le plan fiscal, en imposant des zones franches pour y investir, compagnies qui semblent de plus en plus trouver que le Tiers-Monde a des « modèles » de cohésion sociale exportables dans les pays dits développés. Il sera toujours plus facile d'aider une minorité formée par des groupes politico-financiers privilégiés que de soutenir une quantité de « sous-hommes » toujours plus nombreux réduits à des rôles de sous-traitance : prenons-en acte plus au Nord !
La politique extérieure (pour paraphraser Clausewitz), n'est qu'une continuation de la politique intérieure d'un pays par d'autres moyens. Ce que les gouvernements français et occidentaux acceptent en Afrique, ils l'acceptent et l'accepteront de plus en plus en France, où les sans-logis sont traités également presque comme des hors-la-loi. Certains maires de grandes villes les chassent des centres touristiques de leur cité. Ils auront beau les chasser, ils reviendront plus nombreux et peut-être un jour armés car le marginal devenu clandestin n'attendra pas longtemps avant d'être reconnu comme criminel. C'est déjà le cas pour de plus en plus de « sarrasins ». Qui leur aura donné leurs armes ? Nos lois, nos normes, nos mensonges, nos ignorances, mais certainement pas nos indignations.
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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 25 avril 03 par TMTM
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