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Quelle importance ?
Parler de citoyenneté implique de sortir du “médiatique” qui privilégie l'image que l'on veut donner au détriment des pratiques qui amènent les citoyens à s'organiser autrement pour faire de la politique autrement. Quelques remarques à chaud, concernant les Premiers Fora des Villages et Cités du monde [ voir glossaire ] qui se sont tenus du 7 au 11 mai à Paris à la Cité Universitaire.
« On n'est citoyen qu'à le devenir, et dans cette perspective la citoyenneté ne peut être faite que par tous et pour tous. »
Mon propos, avec ce texte, est de repérer quelques problématiques fondamentales qui ont émergé durant les Premiers Fora des Villages et Cités du monde. Pour aller au plus court, j'avancerai que, partant du constat que les populations dans le monde sont progressivement soumises aux exigences d'une économie de marché qui fait de chaque individu un consommateur, Les périphériques ont cherché, en tout premier lieu, à circonscrire un objectif général à cette rencontre à travers cette question : comment penser et concevoir une société faite par les citoyens (c'est-à-dire, par tous et pour tous) qui pourrait s'avérer une alternative à « la société salariale » actuelle, directe émanation de la domination d'une économie de marché en voie de globalisation ? Cette observation est bien sûr un raccourci auquel ce texte voudrait donner consistance.
Dès le départ, il nous est apparu que le recours à la créativité se révélait la meilleure procédure pour penser et faire la citoyenneté, très précisément lui donner un devenir. (Voir le texte d'ouverture des Fora remis aux participants). Dans le cadre de ces Fora, la créativité, bien sûr, ne pouvait faire sens qu'à partir d'une prise en compte des pratiques résistantes et des luttes, propres à chaque village et cité. D'une part, il fallait, alors repérer la pluralité des procédures, des protocoles de pensée et d'action caractérisant les pratiques des cités et villages, concernant les domaines du travail, de la formation, de l'éducation, des loisirs, etc., et d'autre part, penser comment mettre en relation les unes avec les autres, ces activités perçues dans la contextualité d'une citoyenneté mondiale.
À la suite, cette option d'un recours à la créativité pour co-construire, par tous et pour tous, la citoyenneté, a amené Les périphériques à privilégier, moins le bon déroulement lui-même des événements qu'à attirer l'attention sur les phénomènes émergents susceptibles de se produire au cours des travaux menés autour des tables ou en plénière. Ces émergences se situaient, certes, dans le cadre général de la créativité et de la citoyenneté que nous avons proposé en titre générique de cette rencontre, mais elles débordaient en même temps vers des problématiques avoisinantes, comme la question de l'organisation (en particulier dans cette distinction qu'on peut faire, aujourd'hui, entre « l'homme de l'organisation » et « l'homme s'organisant » dans le cadre de son activité), la relation que les citoyens peuvent nouer avec les experts, la connaissance, l'absolutisme médiatique qui nourrit la pensée unique néolibérale, etc.. Nous nous proposons dans les mois prochains de porter à la connaissance publique les résultats que nous avons retenus significatifs, moins à travers un compte rendu ou une analyse de ce qui s'est passé que par une mise en lumière des émergences qui ont surgi à partir de la prise en compte des pratiques (des résistances) propres à chaque cité et village.
Le phénomène émergent
Je voudrais, en tout premier lieu, proposer à l'examen cette question touchant à l'émergence, plus précisément au « phénomène émergent ». L'essentiel du problème se fonde d'une exigence première, celle de lui donner l'importance qui lui revient. Très concrètement, cette importance tient aux possibles que toute émergence implique et au devenir qui s'ensuit. J'ajouterai, encore que, dans ce texte, les émergences repérées dans le cadre des Fora, sont moins destinées à une explication du concept d'émergence lui-même, qu'à inviter le lecteur à se poser clairement la question des pratiques citoyennes qui seules sont susceptibles de produite une expression théorique, ou plus modestement qui rendent possible son approche.
Le mot « possible » est très important. Il implique à travers son histoire étymologique le sens suivant : « se rendre capable de ». « Se rendre capable de saisir un phénomène émergent », dans cette acception, c'est avant tout se rendre capable de lui donner une réalité, qui prendra consistance à travers la compréhension de son devenir dans le cadre d'une pratique. Francisco J. Varela énonce cela à travers une formule très éloquente : « toute action est connaissance et toute connaissance est action ». Cette affirmation présuppose une activité de connaissance en « boucle d'action ». Cette boucle d'action est l'activité même de connaître (plan des pratiques) dont il faut prendre acte pour en faire une connaissance (plan conceptuel). Les sciences de la cognition sont investies à l'heure actuelle dans une recherche très profonde sur le sujet. Leur effort, leur recherche portent sur une connaissance dont il s'agit de « Prendre acte » à travers l'activité même qui la constitue en connaissance. C'est cela, pour nous, qui fonde le phénomène émergent à partir de quoi la construction de tout devenir s'avère possible. Et c'est cette procédure que nous avons essayé de mettre en acte pendant ces Fora. L'important, on le voit bien, ne peut plus être attaché à l'objet fini (une connaissance « toute faite, prête à porter » comme dirait Bruno Latour) mais déplacé sur ce qui « est en train de se faire », sur ce qui est en train d'émerger, sur ce que j'ai qualifié de phénomène émergent. J'ajouterai que ces observations touchant à l'émergence représentent des éléments constitutifs de toute démarche s'appuyant sur la créativité.
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La créativité
« Prendre acte », donc, de ce qui était en train d'émerger au cours des travaux par table ou en plénière appelait à un effort constant pour s'adapter à des types de procédures qui ne peuvent reposer que sur un recours permanent à la créativité. Cette considération tient au fait que comprendre ces procédures qui visent à déplacer l'importance de la création (l'objet) à la créativité (une activité) relève d'une difficulté énorme. Non pas tant une difficulté en soi, mais un obstacle culturel qui tient au culte du Créateur qui s'est imposé dans la culture de ce siècle. Le mythe du Créateur, en fait, n'a pas cessé de refouler complètement la question de la créativité (activité qui rend un devenir possible). À notre époque, encore, en déplaçant l'importance donnée au Créateur sur la créativité, on commet un véritable sacrilège. Pour d'autres, ce déplacement n'a aucun fondement. De fait, nous évoquons avec ce déplacement une opération qui exige un véritable changement de mentalité et c'est vraiment à ce point où tout se complique, pire se bloque. Donner de l'importance à ce qui, jusqu'ici, était considéré comme une activité accessoire, une procédure réservée aux experts (les Créateurs) revient en fait à remettre radicalement en cause la question même du savoir. C'est intolérable, voire incompréhensible, pour le plus grand nombre inacceptable.
Cependant, si on transfère cette problématique créateur/créativité du cadre abstrait de la spéculation au cadre dit concret de l'économie de marché, la question s'éclaire quelque peu. Elle s'éclairera d'autant mieux, si on essaie de la saisir à travers cette affirmation néolibérale qui stipule que l'entreprise est créatrice d'emplois. C'est là une assertion trompeuse qui veut faire passer cette idée que la production des richesses tient à une minorité d'entrepreneurs et créateurs et non aux savoir-penser, savoir-faire et savoir-être de tous les protagonistes en interactivité dans cet ensemble productif que l'on appelle le monde du travail. Pour les tenants de l'économie de marché, dans la phase actuelle de son développement, la production de masse destinée à la consommation de masse, c'est cela l'Important Humain à quoi tout doit se plier. Aujourd'hui, avec la domination du marché financier sur l'économie mondiale, nous nous trouvons non seulement en présence du pire des mensonges (le chef d'entreprise considéré comme le créateur de l'emploi) mais devant un projet de déshumanisation qui risque de détruire les fondements mêmes sur lesquels les hommes et les femmes ont construit leur Histoire. Bien sûr, l'important est ailleurs.
Le bien commun
Riccardo Petrella nous convie, tant à travers ses écrits que ses déclarations, à lutter pour un bien commun qui devrait revenir à chaque être humain. Répondre à cette invitation implique, en premier lieu, de rendre intelligible quelle réalité ou plutôt quelle prospection s'ouvre en l'occurrence.
Je m'attacherai, d'abord, à circonscrire l'idée que nous nous faisons aux Périphériques du bien commun et, ensuite, j'essayerai à travers un « frayage » prospectif de donner consistance, c'est-à-dire forme et contenu à cette idée, dans le cadre de pratiques qui visent la citoyenneté. Le terme « frayage » désigne toute recherche à son stade initial, ce moment où les chercheurs essaient de percevoir les conditions initiales qui permettront d'exprimer ce qui est en train d'advenir.
D'abord, cette question : de quoi s'agit-il avec l'expression « bien commun » ? Pour nous, ce qui doit être pris en considération, en tout premier lieu, c'est le sens à donner au mot bien et au mot commun dans le cadre de la locution bien commun. Nous proposons d'aborder ce point à travers deux alternatives induites par ces vocables.
Premièrement. Le terme bien se réfère à un « bien » existant, « déjàlà » qu'il s'agirait de partager en toute équité entre tout le monde ou est-il fait état, en la circonstance, d'un « bien » à créer, à inventer, par tous et pour tous ?
Deuxièmement. À quel contenu rapporter le vocable commun ? À un état « commun » que la vie, les circonstances, les pouvoirs imposent de fait à l'individu, à la société, à la communauté humaine ? Ou fait-on référence à un « commun » qu'un ensemble humain doit inventer pour produire ses modes de penser, de faire, d'être, sa culture par conséquent ?
Selon que l'on choisira l'une ou l'autre alternative que les deux termes bien et commun véhiculent, un projet politique très différent se dessine.
Dans la première alternative qu'implique chacun des deux termes, le bien commun fait sens à partir d'une valeur morale qui énonce que la richesse doit être partagée, en toute justice, entre tous. Ce qui se trouve, alors, en question, c'est la redistribution équitable des richesses. Dans la deuxième alternative, le bien commun est perçu tout à fait autrement : il est une production. Ce que cette visée implique alors, aussitôt, c'est la question des espaces où co-construire ce bien commun. Co-construire dans la mesure où ce bien est à produire par tous et pour tous, condition à partir de laquelle un devenir citoyen se révèle possible.
Les Fora ont été, bien entendu, particulièrement sensibles à cette perspective d'un bien commun produit par tous et pour tous. Et je dois reconnaître que cette question du devenir à construire ensemble a été tournée et retournée, d'une manière explicite ou implicite, sous des formes très diverses, que ce soit autour des tables (le travail par groupe) ou en plénière. En fait, dans le cadre des Fora le bien commun a très rapidement pris forme et contenu à travers cette appréciation. pour penser, percevoir, estimer, un bien commun, il faut d'abord délimiter un espace commun où produire ce bien, les uns avec les autres et non les uns pour les autres ou pire, contre les autres. Il s'agit là, certes, d'un projet complexe, mais moins de par les exigences qui tiennent à toute co-construction que du fait qu'il existe un lieu commun, un déjà-là, un état des choses, qui rend sinon impossible, du moins difficile la création de ce bien commun fait par tous et pour tous.
Pour les cités et villages présents, il n'a jamais fait de doute que la citoyenneté, aujourd'hui, ne peut se fonder que d'une résistance (une pratique) au plan local, d'une lutte contre les lieux communs qui occupent les espaces de vie et de la pensée. En ceci, il n'a jamais donc été question de revendiquer une redistribution des richesses produites par l'économie de marché dans sa forme actuelle. Tout au plus, a-t-on pris acte, qu'en l'état actuel des choses, que ce soit au plan des idées ou dans le cadre du travail, de l'éducation ou de la formation, l'activité d'une production faite par tous et pour tous s'avère une impossibilité structurelle, et ceci du simple fait de l'hégémonie de la mondialisation économique en cours. Nous avons alors débattu de ces espaces de vie que les résistances citoyennes devraient reprendre au marché. De cela nous en avons abondamment parlé dans les Périphériques. Ce que je voudrais maintenant retenir, c'est cette demande qui s'est présentée à propos des espaces de vie : comment, face aux lieux communs que le marché essaime partout dans le monde, donner naissance à d'autres types d'espace de vie ? Dans les discussions qui ont suivi, la question du « médiatique » s'est alors nettement imposée sur toute autre considération.
Les lieux communs et la question du médiatique
Ce qui, alors, nous est apparu clairement, est que ce qu'on appelle « la pensée unique » (la visée du profit) repose sur un système d'information, de communication de masse basé sur un conditionnement généralisé des modes de penser et de voir à travers un formatage socioculturel, auquel il est très difficile d'échapper. Ce système de penser a un nom, le médiatique (je renvoie chacun à l'histoire des médias, de Mac Luhan à aujourd'hui). Je me bornerai, à l'occasion à indiquer qu'il exprime une perception métonymique des réalités de ce monde, du simple fait que l'ensemble des productions mass-médiatiques prennent leur essor à partir d'un « lieu commun universalisé ». En réalité, ce lieu commun universalisé se manifeste à travers une infinité de lieux communs (au propre et au figuré). Il exprime, en fait, un ensemble de centres de production et de diffusion où se forge la pensée show-biz (« le spectaculaire intégré » comme dit Guy Debord) et où, encore, se forme un type très marketing de perception du monde et des connaissances. Pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas sacrifier leur vie au conformisme médiatique, à sa domination sur toutes les autres formes d'expressions envisageables, pour ceux, encore, qui osent se dresser contre l'impossibilité de communiquer, de s'informer, de se comprendre hors du normatif médiatique, la question d'un devenir citoyen passe par un projet qui ne peut être que culturel (un changement de culture, très exactement). En résumé, très concrètement, les questions suivantes s'imposent de fait : comment penser, concevoir un espace commun citoyen de communication, d'information ? Comment au plan des idées et des pratiques produire une autre culture que la culture d'une économie de marché reposant sur le médiatique et sa pensée marketing ?
Déplacer l'importance d'un point à l'autre, d'un point considéréré comme essentiel à un autre jugé secondaire, donner de l'importance à ce qui n'en avait guère et relativiser l'importance de ce qui en avait trop, ce sont des procédures mises en jeu dans la créativité, au même titre que la saisie des phénomènes émergents ou l'usage circonstancié de la transversalité. |
Pour conclure sur ce point, je relèverai que le médiatique, avec sa référence ultime au plus haut indice d'audience ou de vente s'oppose directement à la créativité. Par là, encore, à travers ces diffuseurs habituels que sont la télévision, la radio et la presse à gros tirage, il s'avère l'obstacle le plus important à tout projet de citoyenneté. Face à la suprématie médiatique, il devient très difficile d'apprendre à penser en dehors d'une pensée globalisante, reposant totalement sur des procédures métonymiques qui réduisent toute visée humaine à un plus petit dénominateur commun, destiné à rassembler autour d'un visuel réduit à la plus simple expression, le plus grand nombre de gens (clients) possibles. Il reste - et c'est là pour moi, un constat très satisfaisant - que la prise de conscience de l'obstacle médiatique n'a pas plongé les participants des Fora dans le découragement, la résignation, ou le renoncement. Au contraire, elle a été une occasion opportune de mieux cibler les conditions nécessaires pour imaginer, créer, ensemble, la résistance citoyenne. Comment penser cette résistance, dans quel espace public, à travers quelles pratiques, avec quels moyens, quelles procédures ? Voilà, finalement les questions qui se sont, alors, imposées à notre attention.
Je voudrais ajouter encore que ce sont les discussions tournant autour de l'obstacle médiatique qui ont permis de faire comprendre à beaucoup l'importance de la créativité. Elle a été saisie comme le moyen concret, majeur pour produire ce devenir citoyen à faire par tous et pour tous. Mais il est apparu en même temps que cette expression ne pourrait se développer que dans des espaces libérés de la dictature marketing, dans des espaces où lui donner consistance, dans des espaces et lieux où des propositions, des positions, des idées pourront se nouer et se dénouer pour produire ce devenir citoyen, sans lequel rien n'est possible.
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La question des résultats
Sous la forme d'un texte exposant leurs propositions pour le déroulement des Fora, les Périphériques ont voulu, plus qu'un programme, proposer quelques repères pour positionner les participants dans le cadre d'une recherche commune. Deux propositions ont été faites, dans ce sens. D'une part, consacrer la première journée à l'auto-organisation de l'assemblée, les organisateurs refusant en cela de placer les cités et villages dans le cadre d'une organisation pré-établie. D'autre part, de réserver chaque matin un temps pour organiser le travail de la journée en fonction des résultats obtenus la veille.
Cette procédure n'est pas simple à saisir, si on l'appréhende dans le cadre de la logique qui domine largement les modes de penser et de voir actuels. Cette logique, Popper la qualifie de logique des horlogers à laquelle il oppose une logique des nuages.
Bien sûr, Popper énonce par là une métaphore, mais une métaphore particulièrement éclairante. Qu'est-ce à dire ?
Que la difficulté de comprendre ce qu'est la créativité, sa richesse, ses possibles, ses pratiques tient au fait que la logique des horlogers est tout à fait incapable de comprendre et bien moins encore de faire comprendre ce qu'est la créativité. En effet, cette logique suppose, en première instance, la préexistence des horloges. L'horloge en la circonstance est « un déjà-là », un modèle référent à partir duquel poser toute question, la question se bornant à la connaissance horlogère et aux possibilités qui se dégagent éventuellement à partir des progrès, technologiques le plus souvent. Mais dès lors où l'on parle de créativité, de devenir, ce type de logique n'explique plus rien. Nietzsche exprime parfaitement cette difficulté quand il avance cette formule : Seul celui qui agit comprend. Pour comprendre en agissant, et agir en prenant acte, il faut s'en remettre à une autre logique : la logique des nuages, que, par ailleurs, nous avons qualifié aux Périphériques de logique océano-atmosphérique, soit, encore, une logique toujours saisie dans le cadre d'une turbulence.
Turbulence, voilà le mot lâché. Si beaucoup de scientifiques connaissent parfaitement ce qu'il en est de la problématique océanoatmosphérique et des conséquences qu'elle provoque dans les modes de penser contemporains, l'opinion publique, complètement formatée par le médiatique, elle, n'en a qu'une vision très sommaire, le plus souvent futile. Dans cette conjoncture, faute de connaître les implications des bouleversements de toutes sortes sur leur vie, ce mode de « penser autrement » n'a guère de chance pour les gens d'apparaître comme une opportunité de comprendre comment et de quelle manière agir dans ce désordre créateur qu'est l'évolution universelle. En ceci, je me contenterai de renvoyer à ces mots de Prigogine : « le non-équilibre est source de structure », pour avancer que c'est dans cette perspective, dans cette logique en acte, dans le cadre d'une turbulence, donc, que se pose la question du résultat, la production de résultats. Je voudrais me demander maintenant : qu'est-ce que l'on entend quand on parle d'atteindre un résultat ?
Cette obligation que nous fait l'époque d'apprendre en faisant, de faire en apprenant (en nous formant les uns avec les autres et non les uns par les autres) a été en permanence en jeu dans le cadre de cette rencontre. Je dirai, c'est là mon opinion très personnelle, que cette visée de se comprendre en favorisant les projets communs des uns avec les autres, a été une réussite, dans la mesure où des possibles ont émergé au cours des échanges de vue dont nous reparlerons en détail, dans les prochains numéros. D'autre part, il faut bien reconnaître qu'un certain nombre de personnes, surtout dans les premiers jours, ont été désorientées par cette turbulence que toute visée de créativité libère. Comme on dit : « faut faire avec », parce que « faire contre » ou « faire sans » détruit toute opportunité de saisir les possibilités émergentes, conduit à l'aveuglement. Comme l'avance encore Prigogine : « À l'équilibre, la matière est aveugle; loin de l'équilibre, elle voit ». Effectivement, nous avons appris à voir et surtout à écouter « autrement » pour faire émerger d'autres possibles, tout cela certes dans un certain chaos. Mais n'est-ce pas ce chaos que Prigogine qualifie de désordre créateur ?
Si l'on veut bien, maintenant s'en référer à l'objectif « produire des résultats » que les grecs prêtaient à la poésie, on verra vite que cette visée impose aux protagonistes de donner sens au vocable résultat, là et quand il se produit, c'est-à-dire dans le cadre d'une turbulence (un « en train de faire »), dans l'activité menée, et non dans l'optique d'une conclusion à atteindre. Ainsi, le dernier jour, à beaucoup de tables, la question de la synthèse a été posée sous sa forme la plus triviale, je veux parler par là du sens que lui donnent « les politiques » (les professionnels, pas les citoyens) dans le cadre de leur parti : la synthèse en tant que « petit texte final » mitonné pour aboutir à un consensus le plus large possible. Dans cette logique, la synthèse est toujours un « mal entendu », dans la mesure où chacun est amené à mettre ce qui lui plaît dans ce raccourci de phrases qui n'obéit qu'à la logique des apprentis coiffeurs : « couper tout ce qui dépasse », autrement dit : dévitaliser.
En fin de compte, la grande majorité des participants a su éviter le piège de la synthèse. Ce que les discussions ont finalement fait émerger, c'est l'idée que ce qui se trouve en cause dès lors où il s'agit d'exprimer un résultat, c'est moins une description exhaustive ou analytique de l'activité menée, sous la forme d'une synthèse ou autre, que de « prendre acte » des émergences qui se sont manifestées au cours des travaux. De là, ces questions qui fondent un nouveau départ : qu'est-ce qu'il en résulte ? C'est-à-dire très précisément : quel devenir les émergences permettent-elles ?
C'est à cette interrogation que les Périphériques ont maintenant l'intention de s'appliquer. Que le lecteur veuille bien considérer ce texte, comme des prolégomènes à ce départ nouveau que ces Premiers Fora des Villages et Cités du monde nous semblent avoir rendu possible.