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édito
En juin 1999, Les périphériques vous parlent et l'ensemble musical et théâtral Génération Chaos, séjournèrent trois semaines en Martinique [ 1 ]. Ce voyage s'inscrivait dans une dynamique d'échanges, de travaux et de rencontres avec l'association AM4 qui développe l'art martial martiniquais : le danmyé, ainsi que les danses traditionnelles Bélé-Kalennda (voir les entretiens avec Pierre Dru dans ce même numéro et avec Georges Dru dans le n° 14). À cette occasion, des rencontres et des entretiens eurent également lieu avec des responsables associatifs, des élus locaux martiniquais, des responsables du Modemas, des écrivains, des poètes, des philosophes comme Patrick Chamoiseau, Edouard Glissant ou encore Aimé Césaire. Nous n'oublierons pas non plus d'évoquer l'accueil chaleureux que nous fit la ville de Sainte-Anne, en particulier, son maire Garcin Malsa, avec lequel nous collaborons depuis plusieurs années sur le projet des Fora des Villages et Cités du Monde [ 2 ].Voilà donc pour les circonstances qui amènent aujourd'hui Les périphériques vous parlent à consacrer deux numéros aux réalités martiniquaises, créoles et caribéennes. Ils sont le fruit des entretiens et des interviews réalisés cet été.
Notre intention n'est pas de présenter une vision unifiée de la Martinique, encore moins, évoquant la créolité, un « département » de la littérature, ni de nous livrer à une enquête journalistique à propos de pensées dont le lecteur constatera, par ailleurs, qu'elles s'emploient plus à parcourir l'éclatement du monde et les désordres du devenir, qu'elles se limitent à des analyses sociales, politiques, culturelles confinées à l'espace caraïbe. Ce numéro traduit la rencontre qui s'est produite entre Les périphériques et des acteurs marquants d'un espace ouvert sur un monde en devenir et qui se représente, à partir des réalités locales, comme un véritable laboratoire de la « mondialité », pour reprendre le terme forgé par Edouard Glissant. Ne doutons pas que cette mondialité a peu à voir avec l'actuelle globalisation du marché et sa science appliquée : le marketing, au service d'un consumérisme mondial, partout identique.
Pourquoi les citoyens du monde entier, rebelles à ce nouvel ordre planétaire, devraient-ils pour autant renoncer à toute idée de devenir mondial ? Pourquoi, encore, la réponse de ces mêmes citoyens aux promoteurs de la « ressource humaine » rendue docile par un salariat qui la prostitue à une même consommation massifiée, serait-elle fatalement le nationalisme étriqué, la haine du cosmopolitisme, l'affirmation ethnique de l'identité ou encore le fanatisme sectaro-religieux comme la pensée unique occidentale essaie toujours de nous en convaincre ?
Qu'il s'agisse des notions de « créolisation », de « guerrier de l'imaginaire », de « négritude », « de souveraineté », de « tout-monde », « d'antillanité », de « chaos-monde », qui parcourent ces deux numéros, celles-ci font porter le regard sur des humanités métissées. Mais plus encore que d'un droit qu'il faudrait lui reconnaître, l'expression des différences des peuples a besoin aujourd'hui de lieux où toutes les différences justement se conjugueraient pour frayer un chemin à la citoyenneté mondiale. Car le danger est - comme c'est le cas aujourd'hui - de voir, peu à peu, l'ensemble des modes de vie et de penser se conformer aux seules exigences du marché.
photo : Sébastien Bondieu |
Mais il y a plus encore : c'est sur d'anciennes terres d'esclavage que le paradoxe de l'histoire veut qu'émergent aujourd'hui de nouvelles formulations de la condition humaine. L'esclavage est encore un devenir possible et, bien souvent, un état de fait pour une grande partie de l'humanité soumise à la précarité. Le fait est qu'il n'y a plus de marchands d'esclaves à qui s'en prendre, l'aliénation elle-même s'est « virtualisée » au point de devenir aussi peu visible sur les écrans de télévision que jadis pouvaient l'être au contraire les chaînes que les colonisateurs mettaient aux pieds des peuples assujettis.
C'est un projet d'un nouveau type qui se propose donc maintenant à ceux qui désirent faire de la citoyenneté une aventure. Et la tâche des citoyens serait plus aisée si ne la freinait constamment la réticence de chacun de nous à lâcher prise aux satisfactions routinières d'une société de marché, prête à ménager ceux qui s'accommodent de ses médiocrités ou à acheter le silence des autres qui, à défaut d'y pourvoir vivre leur vie, y regardent passer la leur en échange de quelques ersatz d'un bien-être mortel. L'ironie du présent veut que la citoyenneté soit devenu un mot qui agglomère les meilleurs coups médiatiques du moment. Ne nous trompons pas : c'est l'idéologie marketing qui, d'où qu'elle vienne et qui elle sert, le cuisine comme bon lui semble. Cette épithète racoleuse, « citoyen », va ainsi procurer un supplément d'âme à tout ce à quoi on l'accole : radio, télévision, culture, sport, banquet, pique-nique, « teuf », internet. Peut-être verrons-nous bientôt fleurir l'expression de « guerre citoyenne », pour, à coups d'euphémismes, maquiller toutes les lâchetés et sauver par l'image ce que chacun a renoncé à fonder par l'acte. L'espace politique s'en trouve ainsi diminué aux portions congrues d'un talk show sinistre.
Il faut dire que l'idée de citoyenneté, dans cette attraction crapuleuse de mot valise, s'est complètement acclimatée au libéralisme tempéré de social qui a remplacé l'ultralibéralisme triomphant qui s'affichait sans honte il y a encore quelques années. Bien évidemment, ce recul est à mettre au crédit des citoyens qui, partout sur la planète, ne cessent de s'organiser depuis des années pour dénoncer une guerre économique qui n'en continue pas moins de perdurer sous des aspects de « soft technologic war ». Les compromis sociaux édulcorent la violence économique, parce qu'il faut quand même « humaniser la mondialisation ». Disons que cette violence se noie dans une euphorie savamment distillée qui fait croire, par exemple, que la toute fraîche reprise de la croissance pourrait, désormais, attrouper l'ensemble des consommateurs autour des mots de progrès et de « satisfactions salariales ».
Notre propos n'est pas ici de dire ce qu'est ou n'est pas la citoyenneté. Nous vivons une époque où l'on reconnaît à l'homme de plus en plus de devoirs pour de moins en moins de droits. Les droits fondamentaux subissent sans répit les assauts des idéologies agressives du marché, phagocytant jusqu'aux derniers restes de délibération humaine dans la Cité. S'ajoutent la pollution généralisée de l'environnement, la destruction des cadres de vie, une alimentation affadie. Si le combat pour les droits humains est nécessaire, il n'est cependant pas suffisant pour fonder une alternative. C'est comme si tous les débats techniques sur les projets de société étaient fatalement destinés à se jouer sur le coup de dés pipés du « plus d'état ou plus de marché », mettant aux prises les partisans du libéralisme ou, à l'inverse, de l'étatisme à tout cran. Cette opposition diffère toujours les réponses à la question : « quelle alternative à la culture de masse de l'économie de marché ? », que le contre-sommet de Seattle n'a pas manqué, à point nommé, de mettre à l'ordre du jour.
C'est par d'autres pratiques humaines, culturelles, dans tous les domaines de la vie, et pas uniquement avec d'autres idées, que les citoyens susciteront des alternatives, en premier lieu aux conditionnements qui entretiennent à chaque fois la confusion entre changement de société et « alternance démocratique » dans le cadre des fatidiques élections où les appareils, quels qu'ils soient, se posent en experts de la citoyenneté. À l'inverse considérer le citoyen sous l'angle du devenir implique d'engager un tout autre type de réflexion, dès lors que le changement fait appel à l'autonomie des citoyens eux-mêmes, à des prises de risque et de décision qui engagent autant la philosophie que l'action et ce sur tous les plans de la vie.
La plupart des articles et des entretiens dans ce numéro développent largement ces questions, apportant des perspectives autant théoriques que concrètes. Sa composition ainsi que celle du prochain numéro déborde le cadre des habituelles rubriques qui séparent, selon un découpage bien mutilant, l'économie, la philosophie, la littérature, le social, la science ou la culture. Agrafer chaque point de vue à une étiquette qui le range dans une discipline donnée, censée rassurer le lecteur sur la nature de l'information qu'il était légitimement venu chercher là où on lui indique qu'il la trouvera, n'était certainement pas notre but. Nous avons préféré les mises en relation entre différents savoir, des rapprochements intuitifs, et beaucoup de textes se répondent dans un ensemble où nous espérons que la complexité ne sera pas l'ennemie de la clarté.
À ce sujet, une des définitions de la complexité suggère que le tout est dans la partie et que la partie est dans le tout, mais également que le tout est plus que la somme de ses parties. C'est une définition que nous faisons nôtre en lui ajoutant toutefois, comme le faisait Serge Daney à propos de l'image, que le tout est toujours « plus et moins que lui-même ». Daney écrivait que l'image comprend toujours un « hors champ » qui fait qu'elle n'est jamais pleine de ce qu'elle montre. Alors, il faut la faire parler, tout bonnement parce que nombre de choses dans ce qu'elle montre ne se rendent visiblement pas visibles. Ne doutons pas qu'il en soit de même avec la lecture et le texte, c'est pourquoi nous laissons au lecteur le soin de se compter aussi au nombre des auteurs.
La rédaction
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photos : Sébastien Bondieu |
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qui fait quoi ? |
qui fait quoi ? |
- n° 13, janvier - février - mars 2000
- Comité de rédaction : Federica Bertelli-Giustacchini (directrice de la publication), Yovan Gilles, Manu Isaac, Christopher Yggdre.
- Responsable de la diffusion : Manu Isaac.
- Collaboration au secrétariat de rédaction et aux transcriptions des entretiens : Norbert Bottlaender-Prier.
- Couverture : Kathrin Ruchay (Association Transversart).
- Photographies : Cyg (p. 19 en haut, 23, 25, 26) ; Sébastien Bondieu (p. 1, 3, 17, 19 en bas, 33, 41, 43, 45) ; Florent Maillot (p. 31) ; Tessa Polak (p. 28, 29, 30) ; Kathrin Ruchay (p. 9, 11, 21).
- Nous remercions Pierre Troller pour sa photographie tirée de son exposition les Ceps, que nous avons reprise page 35.
- Nous remercions pour leur soutien financier le CNL (Centre National des Lettres), et le Ministère de la Jeunesse et des Sports. Nous précisons que ces soutiens n'impliquent aucune contrepartie, et que notre autonomie d'expression reste la même.
- Nous remercions pour leur soutien et leur amitié Agnès b., Lilian Thuram, et tous les Amis et Lecteurs des Périphériques vous parlent qui nous ont fait parvenir des dons.
- Nous remercions, pour leur accueil dans le cadre de la tournée des Périphériques vous parlent et de Génération Chaos en Martinique, la Ville de Sainte-Anne dont Joby Laloss et Garcin Malsa, l'Office Municipal de la Culture, des Sports et des Loisirs de Sainte-Anne, l'AM4 dont Alain, David, Georges, Pierre, Victor, Wilfried et tous les autres, et bien évidemment Jil Valhodiia notre correspondant en Martinique.
- Maquette : Atelier Patrix
- Le journal Les périphériques vous parlent est étroitement associé aux activités de production et de recherche du groupe musical et théâtral Génération Chaos : Federica Bertelli, Sébastien Bondieu, Yovan Gilles, Pierre-Jérémie Piolat, Piersy Roos, Kathrin Ruchay, Samira Sissani, Christopher Yggdre, Marc'O, Jean-Charles François, Cristina Bertelli.
- ISSN N° 1246-2314, dépôt légal à parution.
- Journal trimestriel, commission paritaire n° 74867
- Dumas Imprimeur - N° 35764 A